Interview avec Alex Alice, Alain Ayroles et Étienne Jung

C’est lors de la fête de la BD de Bruxelles, édition 2021, que j’ai eu l’honneur de rencontrer Alex Alice, Alain Ayroles et Étienne Jung pour nous parler du Château des étoiles et des Chimères de Vénus dans une ambiance très détendue.

Alex Alice est un dessinateur et scénariste de BD français, remarqué dès sa première série, Le Troisième testament réalisée avec Xavier Dorison chez Glénat. Il débute ses histoires en auteur complet avec Siegfired (Dargaud), une série BD de fantasy avant de créer la saga du Château des étoiles en 2014 chez Rue de Sèvres et dont le 6ème et dernier tome est à paraître fin du mois.

Alain Ayroles est un scénariste de bande dessinée français qui a débuté sa carrière avec les séries Garulfo (Delcourt) et De cape et de crocs (Snorgleux). Il a également écrit récemment le scénario de la BD Les Indes Fourbes (Delcourt), lauréate de nombreux prix littéraires. Il poursuit l’univers d’Alex Alice avec la série Les chimères de Vénus dont le tome 1 a été publié en mars chez Rue de Sèvres.

Étienne Jung est un dessinateur français, illustrateur pour la jeunesse puis pour la bande-dessinée. Il a notamment travaillé sur Gargouilles (les Humanoïdes associés) avec Denis-Pierre Filippi au scénario ou encore Auguste et Romulus (Mame) avec Laurent Bidot. Il est aujourd’hui l’auteur des dessins de la série Les Chimères de Vénus.

> Ma critique du Château des étoiles <

> Ma critique du tome 1 des Chimères de Vénus <

En quelques mots, pour ceux qui vous découvrent, qui êtes vous?

Étienne Jung: Étienne Jung, je suis illustrateur. Je me destinais d’abord à l’illustration pour la jeunesse, pour les 8-12 ans et je suis arrivé progressivement dans la BD un peu par hasard grâce à des projets qu’on m’a proposé et qui m’ont plu. J’ai alors mis un pied dans la BD et c’est ce que je fais principalement depuis 10 ans.

Alain Ayroles: Je suis Alain Ayroles et je suis scénariste de bande-dessinée et ça fait un petit moment que je fais ça maintenant. J’ai commencé par une série qui s’appelait Garulfo avec Bruno Maïorana au dessin et Thierry Leprévost à la couleur. Puis, De capes et de crocs avec Jean-Luc Masbou. Ensuite, j’ai également scénarisé l’album Sept missionnaires dans la série Sept avec Luigi Critone au dessin et j’ai retravaillé avec Bruno Maïorana et Thierry Leprévost pour la trilogie D, une histoire de vampires, puis un one-shot, Les Indes fourbes avec Juanjo Guarnido avant de travailler avec Étienne sur Les Chimères de Vénus

Alex Alice: Alain je t’en prie.

Alain Ayroles: Alex est un auteur de bande dessinée complet puisqu’il est à la fois scénariste et dessinateur. C’est un artiste qui maîtrise à merveille les couleurs et si j’en crois certains de ses élèves, c’est un formidable professeur de peinture à l’huile. Je cite ici Juanjo Guarnido qui n’est pas la pire référence et qui le crie sur tous les toits.

Alex Alice: C’est gentil. J’ai peur de rajouter quoique ce soit à cette présentation.

Dans vos parcours respectifs, l’imaginaire a une grande place, que ce soit Garulfo, Siegfried, Gargouilles, ou même les affiches des Utopiales. Est-ce que c’est votre genre de prédilection ou est-ce que vous souhaiteriez explorer d’autres genres à l’avenir?

Alain Ayroles: Je serai parfois tenté d’écrire une histoire dans un contexte vraiment réaliste contemporain ou autre mais j’aurai peur de m’ennuyer au bout d’un petit moment. J’ai quand même un grand penchant pour l’imaginaire. Mais en ce moment je travaille dans une série historique pure. 

Étienne Jung: L’imaginaire pur non, mais j’aime bien les mélanges entre des univers crédibles, réels et une touche de fantasy. J’aime cette interaction entre le réel et l’imaginaire et je ne me vois pas dessiner un polar de A à Z par exemple, avec des poursuites en voiture et tout ça. 

Yuyine: Sauf avec des dinosaures au volant éventuellement.

Étienne Jung: Roooh non, ils ne savent pas conduire.

Alex Alice: Je suis aussi dans cet imaginaire qui s’ancre dans le réel. C’est assez confortable parce que ça donne une base. 

Alain Ayroles: On est tous les trois attirés par un imaginaire nourri de sources réelles et qui ne recycle pas des choses déjà écrites. Même si nos imaginaires sont influencés par des récits de genre, ils s’ancrent aussi sur des sources réelles pour éviter des histoires trop abracadabrantes. 

Alex Alice: Et c’est plus reposant au niveau du dessin parce qu’il ne faut pas tout inventer! 

 

Outre l’évident Jules Verne, quelles sont les sources d’inspiration pour Le Château des étoiles et les Chimères de Vénus

Alain Ayroles: La première référence dont il m’a parlé quand il a eu l’idée du Château des étoiles c’était une œuvre de vulgarisation scientifique de Camille Flammarion écrite au XIXème siècle. C’était sa Bible. 

Alex Alice: Tout à fait. Ça s’appelle « L’astronomie populaire » et c’est complètement dans l’esprit Jules Verne y compris dans la présentation. C’est en fait un traité d’astronomie de vulgarisation scientifique qui reprend les théories de l’époque et aussi les fantasmes basés sur la connaissance très parcellaire qu’on avait du système solaire en 1880. Par exemple, c’est là qu’on a toutes les théories sur Vénus: étant plus proche du Soleil, elle est plus chaude, on ne voit rien au télescope donc on se dit qu’il doit y avoir des nuages, ce qui est vrai, mais à l’époque quand on se dit nuages on pense à beaucoup d’eau. Donc chaud, beaucoup d’eau, la jungle doit y être abondante et comme on est plus près du Soleil, la planète doit être plus jeune que la Terre donc il doit encore y avoir des dinosaures. Tout ça est parfaitement fondé sur le plan de la raison et c’est d’une poésie incroyable. Ça a été une grande source pour cet univers parce que ce qu’ils imaginaient sur Vénus, ils l’ont aussi fait pour Mars et les autres planètes.

Alain Ayroles: En fait c’est un ouvrage sérieux de l’époque mais qui possède déjà en germes toute la fantaisie qu’Alex a tiré pour Le Château des étoiles.

 

Comment est née l’idée du Château des étoiles

Alex Alice: C’est né d’une grande frustration de lecture avec Autour de la Lune de Jules Verne, la deuxième partie de De la Terre à la Lune. Dans ce livre, on évoque beaucoup l’espace tel qu’on l’imaginait à l’époque, et notamment la Lune et tout ce qu’on imaginait à son propos. On se demandait par exemple si certains reliefs ne correspondaient pas à des villes, certains cratères à des enceintes peut-être en ruines et où on imaginait tout possible sur la face cachée, même la présence d’air voire d’une civilisation. Mais finalement, *spoiler*, on atterrit pas sur la Lune dans ce livre et j’en étais resté très frustré de ne pas voir ces cosmonautes en costumes trois pièces débarquer sur la Lune et trouver les réponses à toutes ces questions. L’idée m’est restée de faire quelque chose dans cet imaginaire. 

A peu près à la même époque, j’ai fait la connaissance du roi Louis II de Bavière à travers ses châteaux et la découverte de cette Allemagne romantique de la fin du XIXème. J’avais ces deux univers qui m’intéressaient et j’ai mis des années à réaliser que c’était le même.

Étienne Jung: Tu avais quel âge quand tu as découvert le château de Neuschwanstein?

Alex Alice: Une douzaine d’années je crois.

 

Alain Ayroles, Étienne Jung, il s’agit de votre première collaboration ensemble? Comment se passe cette aventure et comment est née l’idée des Chimères de Vénus

Alain Ayroles: En fait, au départ, quand Alex Alice a commencé à travailler sur Le château des étoiles, il m’avait demandé si je voulais travailler avec lui pour le scénario. Mais à cette époque-là, je n’avais pas de temps à y consacrer parce que j’avais beaucoup de projets en cours. Par contre, c’est bien volontiers que j’ai accepté de relire ses scénarios et ses storyboards. Il m’a ensuite proposé de faire un spin-off de cette série. Je connaissais déjà bien l’univers avec les relectures et parfois les recherches d’idées et, entre temps, il avait vraiment pris forme puisque les premiers albums étaient sortis. Toute la splendeur visuelle de la série avait pris corps et ça m’a donné très envie d’écrire une histoire dans cet univers-là. Et parce qu’en plus c’est un formidable terrain de jeu, on est dans du Jules Verne quasiment pur et c’est quelque chose que j’avais très envie de faire. J’ai commencé à réfléchir à un scénario et là les rôles ont été inversés puisque c’est Alex qui a relu mes scénarios et storyboards. 

Quand on a cherché un dessinateur, Alex Alice a immédiatement proposé Étienne dont il est un fan de longue date. Il m’a montré son travail que je connaissais déjà un peu et le style d’Étienne s’est imposé tout naturellement pour cette histoire que j’avais déjà commencé à créer. Étienne a un dessin très différent de celui d’Alex et c’était un plus parce qu’on ne voulait pas créer un ersatz du Château des étoiles

Étienne Jung: Même si il y a des fans du dessin d’Alex qui reprochent que ce n’est pas assez proche du dessin de la série originale. Pour certains c’est un plus, pour d’autres un moins.

Alain Ayroles: Ce qui fait que le dessin d’Étienne correspond parfaitement à cette histoire-là c’est que s’il n’a pas le même style qu’Alex, il partage avec lui certaines caractéristiques à savoir une capacité à susciter de l’émerveillement et des cases dans lesquelles ont s’attarde, dans lesquelles on a envie de voyager. Ils ont tous les deux une même poésie visuelle. 

Étienne Jung: On est aussi tous les deux dans un style à cheval entre la BD adulte et enfant. Le dessin s’adresse autant aux jeunes qu’aux adultes. Avec des influences différentes. Alex est dans un style plus proche d’un Miyazaki et moi d’un Disney. Mais on rejoint tous les deux le domaine de l’enfance et du dessin animé.

Alain Ayroles: Ce que je trouve assez étonnant dans le dessin d’Étienne, c’est qu’il a un dessin très défini. Alex, lui, réalise un crayonné et il le passe ensuite à l’aquarelle pour le Château des étoiles. Donc il y a forcément des zones de flou, des zones de mystères vaporeuses qui laissent la part libre à l’imagination. Étienne a un dessin très précis et défini mais il arrive aussi a laisser un espace d’imaginaire où vont se nicher le mystère et la poésie. 

Étienne Jung: Finalement un dessin très construit peut tout de même susciter l’évasion.

Du coup, les prémisses de l’histoire existaient avant les premières esquisses. Est-ce que vous fonctionner à nouveau comme ça pour le tome 2? 

Alain Ayroles: Pour le tome 2 on travaille au fur et à mesure, j’envoie mes storyboards petit à petit à Étienne. 

Étienne Jung: L’idée de départ, pour Vénus, c’est d’Alex?

Alain Ayroles: En fait, l’idée c’était d’exploiter une des planètes du système solaire. J’ai choisi Vénus parce que dans son univers Vénus et son côté jungle et dinosaures était très attractive. C’était la promesse d’un amusement extrême. Quand j’ai commencé à y réfléchir, il était évident que ce serait l’histoire d’une héroïne pour Vénus. J’ai alors eu l’idée de cette héroïne, très ancrée dans l’époque de la France du Second Empire, une actrice d’opéra qui au départ va être prise pour une femme objet notamment par le vile séducteur duc de Chouvigny mais qui très vite va s’avérer être une femme de caractère. Elle a un but très précis, elle veut sauver son amant prisonnier des bagnes de Napoléon III. Ce personnage d’Hélène va petit à petit s’affirmer dans cette histoire proto-féministe où elle va avoir fort à faire pour s’émanciper et se tirer des griffes de prédateurs divers et variés qu’elle va rencontrer sur sa route depuis les notable impériaux jusqu’aux dinosaures. 

Dans ces deux séries, et particulièrement dans Les Chimères de Vénus justement, il y a de nombreux messages féministes. Est-ce que c’est un sujet qui vous tenait à coeur ou est-ce que ça s’est imposé naturellement dans la création?

Étienne Jung (sur le ton de l’humour): C’est obligatoire maintenant quand on fait une BD. Il y a une case à cocher.

Alain Ayroles: Plus sérieusement, ce que je disais toute à l’heure, l’idée d’une héroïne pour Vénus était logique. Et petit à petit, le côté très combatif, très femme de caractère en lutte contre le patriarcat s’est imposé de lui-même petit à petit. C’est venu comme une évidence parce que dès qu’on veut faire agir une héroïne dans une époque comme ça, on est confronté à toutes les barrières imposées aux femmes par la société très patriarcale. Elle va rencontrer des freins dès qu’elle va vouloir sortir des sentiers battus et va être obligée d’être plus volontaire.

Étienne Jung: Elle est surtout poussée par sa camériste qui la pousse à agir. Ce qui est bien avec ce personnage qui a compris plus de choses qu’Hélène au départ, qui est consciente des injustices, c’est qu’elle va faire valoir ses idées par l’intermédiaire d’Hélène qui a possibilité d’agir et de s’imposer par son statut et sa beauté. Si moi je ne peux pas le faire, toi tu vas le faire pour nous. 

Alain Ayroles: Et c’est pas fini dans la suite!

 

Après Les Chimères de Vénus, est-ce que l’univers est encore amener à s’étendre dans d’autres séries ou même sous d’autres formats?

Alex Alice: Ce n’est pas prévu actuellement mais pourquoi pas. Il n’y a pas de limite! C’est un univers incroyablement fertile et il y a plein d’histoires à raconter au-delà de l’histoire principale. C’est aussi un peu ce qu’on fait dans les gazettes avec les articles qui complètent la trame mais il y a beaucoup de choses à imaginer encore. L’important c’est que les récits se tiennent avec un début, un milieu et une fin. On prolonge l’univers aussi avec les expos, l’almanach, … On a aussi pensé à faire des choses en audio aussi.

Alain Ayroles: Il y a aussi un projet de voyage touristique dans l’espace mais c’est pas au point. (rires)

Quels sont vos projets en cours?

Alain Ayroles: Le tome 2 des Chimères de Vénus. Et je travaille aussi sur le scénario d’une série qui va s’appeler L’ombre de la lumière et qui va être dessinée par Richard Guerineau. On est ici dans un contexte historique pure, sans fantaisie. Elle va raconter les frasques de libertins malfaisants autour du XVIIIème siècle. 

Étienne Jung: Moi je travaille sur le tome 2 des Chimères de Vénus, c’est tout pour l’instant. Et c’est déjà bien.

Alex Alice: Et moi je souffle cinq minutes. 

Étienne Jung: Ça ne te manque pas Le Château des étoiles maintenant que tu as fini? Tu n’as pas le blues?

Alex Alice: Pour l’instant, je n’ai pas eu le temps. On va laisser l’album sortir et on verra ensuite pour la dépression. 

 

Avez-vous un coup de coeur récent en BD, romans ou films/séries que vous souhaitez partager avec nous?

Étienne Jung: Moi j’ai juste reçu et lu le tome 6 du Château des étoiles et il est très beau.

Alain Ayroles: Je viens de lire le troisième tome du Dernier Atlas (Dupuis) qui est une série BD mélangeant polar et SF uchronique vraiment bien. Le tome 3 est dans la continuité des deux premiers mais la série prend de plus en plus d’ampleur. C’est super, que ce soit au niveau scénario, du dessin, du design des machines, toutes les trouvailles visuelles de l’univers… C’est dans un présent parallèle, uchronique avec beaucoup de références au monde contemporain et c’est très malin. C’est un scénario de Gwen de Bonneval et Fabien Vehlmann et le dessin est de Hervé Tanquerelle et le design des machines de Fred Blanchard. 

Oh zut, je suis même pas corporate. Je viens aussi de lire le tome 6 du Château des étoiles et c’est vraiment super! 

Alex Alice: rires. Pour moi ce sera une nouveauté de 1981: la série Cosmos de Carl Sagan. C’est une série documentaire en 10 épisodes sur l’espace, sur la vie, l’histoire des sciences. C’est absolument passionnant. Carl Sagan est un astrophysicien qui a notamment travaillé sur les disques des sondes Voyager et c’est un type absolument brillant. C’est un humaniste avec un charisme invraisemblable et une voix merveilleuse qui nous emmène dans les merveilles de l’univers, de la vie et du savoir d’une manière absolument saisissante et avec une musique de Vangelis absolument planante. C’est très sérieux, très documenté et particulièrement enthousiasmant. Ça donne envie de célébrer la vie, les accomplissements de l’humanité, c’est très positif sans s’aveugler sur les problèmes du monde. Il existe un remake mais il est moins investi même si plus à jour. Mais il y manque l’esprit de l’original, cet émerveillement total qui m’a accompagné pendant la création des premiers tomes de la série. Je le revois régulièrement, je l’ai montré à mon fils et c’est formidable. On peut les voir en intégralité sur Dailymotion en sous-titré. 

 

Un immense merci à Alex Alice, Alain Ayroles et Étienne Jung pour cette interview très sympathique (et dont certains éléments resteront entre nous ^^).

Le tome 6 du Château des étoiles sort le 29 septembre prochain en librairie et le tome 2 des Chimères de Vénus est en cours de création.

 

 

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