Filles de la mer

Il y a quelque temps, en passant sur l’excellent blog de Chez le chat du Cheschire, mon chemin a croisé sa critique d’un roman qui, a-priori, n’est pas vraiment mon genre: Filles de la mer de Mary Lynn Bracht chez Robert Laffont. J’ai failli passer mon chemin, et puis j’ai vu qu’elle avait eu un coup de coeur, et j’ai donc lu son avis. Après un tel enthousiasme, je ne voyais pas comment ne pas être convaincue de lire ce livre. Alors j’ai tenté la lecture, et voici ce que j’en ai pensé…

« Sa soeur était trop jeune pour plonger avec elle lorsqu’elles partaient si loin. Parfois, en refaisant surface, Hana la trouvait en train de courir après les mouettes en agitant furieusement des bâtons. On aurait dit un papillon qui dansait sur l’horizon.»

Nécessaire

Dans ce roman, nous suivons deux soeurs de l’île de Jeju en Corée, dont l’une, à 16 ans à peine, se laissera emporter par les soldats japonais en 1943 pour épargner sa petite soeur. Elle devient alors une « femme de réconfort » pour l’armée japonaise, emportée loin des siens pour finir violée à longueur de journées. Abordant un sujet trop souvent oublié et rarement mis en avant, Filles de la mer permet de faire un devoir de mémoire essentiel pour toutes ces femmes qui ont souffert de la guerre, mais aussi du rejet des leurs et de leur pays quand elles ont pu en réchapper. C’est un roman poignant et fort qui aborde un sujet quasiment tabou puisqu’il aura fallut attendre 2015 pour qu’un accord soit conclu sur ce sujet entre la Corée et le Japon… 75 ans après la Seconde Guerre Mondiale alors qu’elles étaient entre 50 000 et 250 000 victimes! Et pour ça, ce roman est essentiel! Ce récit constitue une sorte d’étendard pour toutes les femmes, que ce soit les coréennes pendant cette guerre précise, ou pour toutes les autres dans le monde, hier et aujourd’hui, qui sont victimes de guerre et souvent oubliées. J’ai bien fait de sortir de mes lectures habituelles pour voguer vers Filles de la mer car j’en suis ressortie profondément bouleversée et marquée. C’est un coup de coeur indéniable pour ce roman d’une grande intensité. Oui, le sujet est dur, oui, c’est parfois difficile à lire, mais il est essentiel de transmettre ces faits et ce roman est un moyen de le faire. C’est aussi l’histoire de la Corée, de 1943 à 2011, qui se découvre dans ce roman à hauteur d’homme, ou plutôt à hauteur de femme. A travers le destin de ces deux soeurs, Hana et Emi, c’est toute la souffrance d’un pays et de son peuple qui apparaît au lecteur, et c’est à la fois subtil et d’autant plus intense. 

« « Je suis une haenyeo », dit-elle en le foudroyant du regard. Les mots se mettent à sortir, pareils à une confession. « Comme ma mère, comme sa mère avant elle, et comme ma soeur le sera un jour, ainsi que ses filles - je n’ai jamais été rien d’autre qu’une fille de la mer. Ni vous ni aucun homme ne pourrez me l’enlever. » »

Bouleversant

Le récit d’Hana en 1943 et celui d’Emi en 2011 sont deux histoires d’une grande intensité qui nous touchent et qui nous attrapent de force. On s’attache à ces deux femmes dont la volonté, l’amour et le courage sont mémorables. Impossible d’oublier leur force, ni leurs douleurs. Elles sont les dignes représentantes des haenyeo, ces femmes coréennes plongeuses en apnée qui sont indépendantes, fortes, courageuses, forgées à l’iode et aux vagues. Et si l’histoire est dure, que les souffrances et la barbarie sont quasi omniprésentes, l’autrice n’en oublie pas une touche d’espoir, un rayon de lumière fin mais permanent tout au long du récit, possible uniquement par cette volonté de fer qui les habitent toutes les deux. Pourtant, les horreurs subies par ces femmes ne sont pas niées ni cachées. Mais heureusement, l’autrice n’est pas tombé dans le travers de la surenchère violente glorifiée et surexposée. Tout est dit avec justesse, subtilité, dans le respect de ces femmes et non pas comme on dresse un spectacle abject. Quelques moments de joie sont aussi décrits, ils ont alors la saveur douce mais amère de la nostalgie et de la perte, mais ils sont tellement magnifiques qu’on en est ému aux larmes. La plume est absolument divine d’ailleurs. Avec élégance, poésie et subtilité, Mary Lynn Bracht signe un premier roman grandiose qui démontre son talent littéraire mais aussi sa maîtrise d’un récit qui ne lasse jamais en alternant entre deux époques et deux histoires dont on espère un dénouement heureux. C’était très fort, j’ai versé parfois des torrents de larmes, mon coeur s’est serré à de nombreuses reprises, mais je conserverai aussi en mémoire la lueur d’espoir qu’a voulu transmettre l’autrice.

En bref, Filles de la mer est un roman passionnant, divinement écrit, mais surtout nécessaire à lire pour évoquer ces femmes victimes et ne plus jamais les oublier.

« Sur l’île de Jeju, au sud de la Corée, Hana et sa petite soeur Emi appartiennent à la communauté haenyeo, au sein de laquelle ce sont les femmes qui font vivre leur famille en pêchant en apnée.

Un jour, alors qu’Hana est en mer, elle aperçoit un soldat japonais sur la plage qui se dirige vers Emi. Aux deux filles on a maintes fois répété de ne jamais se retrouver seules avec un soldat. Craignant pour sa soeur, Hana rejoint le rivage aussi vite qu’elle le peut et se laisse enlever à sa place. Elle devient alors, comme des milliers d’autres Coréennes, une femme de réconfort en Mandchourie.

Ainsi commence l’histoire de deux soeurs violemment séparées. Alternant entre le récit d’Hana en 1943 et celui d’Emi en 2011, Filles de la mer se lit au rythme des vagues et dévoile un pan sombre et bouleversant de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Asie. Au fil du récit, par la grâce de leurs liens indéfectibles, les deux héroïnes nous ramènent vers la lumière, où l’espoir triomphe des horreurs de la guerre. »

(Couverture: © Sandra Chiu/ Topic images Inc. - Getty images)

Pour lire un extrait, cliquez ici.