Underground Railroad

Récompensé du prix Pulitzer, le dernier roman de Colson Whitehead, qui connaît un franc succès critique, est également sélectionné pour le prix Femina et le prix JDD/France Inter. Il s’agit de Underground Railroad, paru en 2016 aux Etats-Unis et titre de la rentrée littéraire 2017 pour les éditions Albin Michel dans la collection Terres d’Amérique. Un roman qui parle de la période sombre de l’esclavage aux Etats-Unis et qui matérialise le chemin de fer souterrain aidant les esclaves à s’évader vers le nord et une inaccessible liberté. Voici ce que j’en ai pensé…

« C’était du coton à longue soie que le maître avait commandé pour ses plants, mais parmi les semences se trouvaient aussi celles de la violence et de la mort, et leur moisson mûrissaient vite. »

Une histoire ultra prenante

Si j’étais très attirée par ce livre de la rentrée littéraire, dont le thème m’interpelle grandement, j’étais dans une période de lecture plus lente et je craignais de ne pas me faire suffisamment embarquée. Et heureusement, j’ai eu tort. Dès les premières pages, le lecteur est complètement plongé dans cette période sombre de l’humanité (tiens, encore une), et ne peut que s’impliquer, émotionnellement, dans l’histoire des protagonistes. Et quels personnages ! J’ai eu un grand respect et une sincère admiration pour Cora, jeune fille laissée seule à 8 ans dans une plantation, qui ne se laisse pas aller, qui est juste, sacrément courageuse et qui a une rage de vivre épatante. On ne peut qu’avoir envie qu’elle s’en sorte et son destin, plus qu’incertain, nous tient tout de suite à cœur. Cette histoire de fuite est terrible, le sujet est dur, la tension omniprésente, les doutes permanents.  Et que de rebondissements stressants ! Tout comme tous ces courageux qui fuyaient l’oppression, la fuite de Cora n’est jamais assurée, la terreur reste sans cesse présente dans un coin de son esprit et les évènements nous prouvent que c’est à raison. Aucun répit n’est laissé aux protagonistes, ni au lecteur, et la lecture devient alors addictive, rappelant à juste titre, qu’en matière de lutte contre le racisme, rien n’est jamais complètement acquis et qu’une bataille incessante est nécessaire. Et si certains évènements sont très violents, la période l’étant, ils sont toujours relatés avec une certaine distance, non pas par froideur, mais par pudeur. Comme si l’auteur cherchait à marquer un certain respect pour les victimes décrites, en évitant le démonstratif larmoyant. L’histoire est suffisamment touchante telle quelle de toute manière et elle nous remet déjà bien à notre place.

« Ils avaient six heures avant qu’on découvre leur absence, et encore une ou deux heures avant que les milices atteignent l’endroit où ils se trouvaient à présent. Mais la terreur était déjà à leurs trousses, comme chaque jour à la plantation, et elle avançait à leur rythme. »

Une fresque d’une grande richesse

Colson Whitehead n’a pas seulement écrit sur l’esclavage avec ce roman, mais il a dressé une véritable fresque américaine et historique du racisme en faisant traverser à ses personnages plusieurs Etats via la matérialisation ingénieuse du réseau souterrain. L’aventure dramatique de Cora permet de mettre en avant les différentes facettes du racisme, de celui violent des plantations, à celui plus pernicieux des musées présentant des spécimens vivants d’Africains. Ce roman questionne énormément la notion d’humanité, reprenant les textes religieux et la Déclaration d’indépendance qui proclament une égalité de droits pour les humains, mais qui, en pratique, excluent les Noirs, jugés comme des animaux. Il démontre que le monstrueux, l’animal, n’est pas celui qui est traité comme tel, mais celui qui porte le jugement mais aussi que, quelle que soit la couleur de peau, tout le monde n’est pas à mettre dans le même panier non plus. J’ai également apprécié la profondeur de la réflexion sur la notion de liberté. Comment être libre quand on est reste sous le joug de la peur ? Comment être libre si nous devons nous cacher ? Ce roman est d’une immense richesse ! Chaque évènement peut amener à d’intenses réflexions, sans pour autant que le texte n’en soit alourdit le moins du monde. Je regrette juste une fin un peu brusque qui m’a un peu laissée orpheline. J’aurai également aimé creuser un peu plus le sujet du réseau souterrain, le matérialiser encore un peu. Mais au final j’ai juste adoré ce livre. Et même s’il est fictionnel, il reste suffisamment ancré dans la réalité via des personnages et des évènements y appartenant pour qu’on se rappelle que tout ceci s’est produit et qu’il ne faut pas l’oublier.

En bref, Colson Whitehead m’aura embarqué complètement, de sa plume fort agréable, dans une histoire haletante qui illustre parfaitement un pan de l’Histoire sombre. Une période importante de ne pas oublier à l’heure où le racisme revient sur le devant de la scène et nous rappelle que rien n’est totalement acquis.

« Cora, seize ans, est esclave sur une plantation de coton dans la Géorgie d’avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère lorsqu’elle était enfant, elle survit tant bien que mal à la violence de sa condition. Lorsque Caesar, un esclave récemment arrivé de Virginie, lui propose de s’enfuir, elle accepte et tente, au péril de sa vie, de gagner avec lui les États libres du Nord.

De la Caroline du Sud à l’Indiana en passant par le Tennessee, Cora va vivre une incroyable odyssée. Traquée comme une bête par un impitoyable chasseur d’esclaves qui l’oblige à fuir, sans cesse, le « misérable cœur palpitant » des villes, elle fera tout pour conquérir sa liberté. »

(Couverture : © Leigh Guldig / Condé Nast - The New Yorker)

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