Dernière nuit à Montréal

Il y a tout juste quelques semaines j’ai eu un immense coup de coeur livresque avec Station Eleven d’Emily St. John Mandel (à lire! J’insiste!)… et c’est donc, avec une faiblesse insensée, que lorsque son premier roman, Dernière nuit à Montréal, est passé devant mes yeux à la bibliothèque, que j’ai décidé de retrouver sa plume tout de suite, sans attendre. Publié par les éditions Payot & Rivages en version française en 2012, il est paru ensuite en poche en 2013.

« Les rues étaient hantées par une terrible conspiration de normalité: librairies, cafés, bodegas et boutiques de vêtements véhiculaient le simulacre d’une existence banale, comme si une jeune femme ne venait pas de quitter la scène et de dégringoler dans l’abîme de la fosse d’orchestre. »

Un coup de coeur pour l’écriture

Je ne suis habituellement pas du genre à dévorer tous les livres d’un auteur, sauf en cas de coup de coeur absolu… et avec Station Eleven c’était le cas. Aussi, il me fallait, et vite, une nouvelle dose de la plume d’Emily St. John Mandel, à la fois pour espérer retrouver cette magie, mais aussi pour confirmer ou infirmer que c’était une auteur que je devais suivre assidûment. Et le bilan avec ce second roman c’est que tous ses autres titres sont maintenant sur ma wish-list… J’aime profondément cette écriture qui m’a captivé et emporté du début à la fin alors même que l’histoire ne me passionnait pas et que certains personnages m’agaçaient fortement. Elle a su faire passer cette lecture par sa maîtrise de la langue, par sa façon de raconter les choses en puisant dans la beauté des formulations pour transmettre une émotion, mais jamais en faisant des fioritures inutiles, juste en faisant du beau. J’ai particulièrement aimé les discours sur les langues en voie de disparition, le sujet d’étude d’un des personnages principaux, que j’ai trouvé passionnants et touchants. Et si il y a quelques manques par rapport à Station Eleven, c’est en le considérant comme ce qu’il est: un premier roman; que l’on peut dire que Dernière nuit à Montréal est somptueux. Que dire de plus quand on a envie de plonger encore et encore dans ses pages, sans que l’histoire n’en soit la cause, mais juste pour la plume?

« Elle était sublimement anormale, très fréquemment dérangeant, mais aux yeux d’Eli elle était son psaume: ce que vous offre une amante à demeure, en fin de compte, c’est la révélation inouïe que vous n’êtes pas seul. »

Construction intelligente, ambiance maîtrisée, mais…

Attention avant toute chose, bien que paru en collection Rivages/Thriller, il ne s’agit pas du tout d’un thriller, mais plutôt d'une fresque contemporaine, aux accents de romans noirs. On y ressent pleinement cette ambiance glaciale et désespérée de ce monde qui part en friche. Mais pas de suspens à proprement parlé malgré une construction atypique et éclatée nous faisant faire des bons dans le temps et dans l’espace à chaque chapitre, en alternant de plus les protagonistes et points de vue, comme une fresque complexe, un puzzle à reconstituer. Au final, les éléments à apprendre ne sont pas si surprenants, mais ce n’est pas tant le sujet de récit, mais plutôt l’impact de toute cette histoire morcelée sur la vie de plusieurs individus plus ou moins impliqués. Une chose est sûre: Emily St. John Mandel sait raconter des histoires et des destins. Si je n’ai pas eu de coup de coeur c’est parce que cette histoire, sans trop de surprise (hormis un choc final), ne me  captivait pas vraiment, tardant un peu la moment des révélations qui n’en étaient plus. Mais c’est surtout à cause d’un agacement pour Eli et ses amis de Brooklyn que j’ai tout de suite trouvé désagréables, pédants, et terriblement égocentrés à se lancer dans des débats inutiles qui n’aboutissent pas, puisqu’aucun ne s’écoute. Mais j’ai aimé la fresque d’un Montréal bien triste, j’ai apprécié les destins douloureux de Lilia, Michaela et son père et j’ai été transportée dans ce roman, loin de ma zone de confort, par une autrice au grand talent.

En bref, Dernière nuit à Montréal était une belle lecture, loin du choc de Station Eleven certes, mais très agréable. La plume est envoûtante, la fresque sombre, les destins magnifiquement mis en lumière par la construction maîtrisée et les thématiques toujours maîtrisées. 

« C'est l'histoire de Lilia, enlevée à sept ans par son père, et de la longue cavale qui dura toute son adolescence. C'est l'histoire de Christopher, le détective engagé par la mère de Lilia pour la retrouver et de sa fille Michaela, qui rêvait d'être funambule avant de finir dans une boîte minable de Montréal. Michaela sait ce que Lilia a toujours ignoré : la raison de sa cavale. C'est enfin l'histoire d'Eli, étudiant passionné par les langues et la fragilité des sentiments qu'elles servent à exprimer, qui a hébergé Lilia à New York suffisamment longtemps pour tomber amoureux d'elle et partir à sa recherche lorsque, une fois de plus, elle s'enfuit. C'est dans une Montréal hypnotique que se dénouera cette "histoire de fenêtres brisées et de neige", une histoire en forme d'éclats de miroir brisé qui, une fois reconstitué, dessine une vision déchirante du monde. »

(Couverture : © Jean-Marc Guérin)