La harpiste des terres rouges

Début octobre, Aurélie Wellenstein a publié un nouveau roman aux éditions Fleuve, dans la collection Outre Fleuve, intitulé La Harpiste des terres rouges. Entre dark fantasy et western, c’est un roman qui propose une quête désespérée et périlleuse au cœur d’un monde peuplé de créatures menaçantes. Voici ce que j’en ai pensé…

« Elle était grande, très grande, plus que n’importe quelle femme. Elle se tenait droite et sa longue robe de soirée blanche accentuait son port altier. Au-dessus des clavicules commençait un cou fin et délicat, mais à la place de sa tête, se haussait une harpe blanche.»

Body horror, vengeance et sadisme

Si les dernières œuvres de l’autrice étaient empreintes d’un peu plus de douceur que ses premiers romans, La Harpiste des terres rouges, lui, n’épargne personne, ni le lectorat, ni les personnages. Aurélie Wellenstein nous emmène dans un univers de cauchemars où sadisme et violence semblent régir ces territoires. Dans les terres de Symphonie, outre des créatures aux pouvoirs étranges, il faut également se méfier de l’âme humaine cherchant à tout prix à conquérir ces terres indomptables pour leur quête de gloire. C’est dans ce contexte que nous suivons notre personnage principal dont la volonté de sauver son frère de l’horreur le poussera à dépasser ses peurs et ses limites pour s’aventurer dans ce monde. Mais cette quête fraternelle se heurte aussi à d’autres sentiments et d’autres agendas. La Harpiste des terres rouges est avant tout une histoire de vengeance. Celles de ses compagnons de route qui ont toutes et tous une grande revanche à prendre sur la vie (et sur l’humanité) mais celles aussi de cette terre qu’on cherche à piller et de ses créatures qu’on chasse pour un peu de pouvoir. Car en Symphonie, les greffes de morceaux de créatures peuvent vous apporter succès et gloire. Mais elles sèment aussi déconvenues, altération de l’identité et mort. Un joyeux cocktail qui donne à l’ensemble du roman une ambiance oppressante et sanglante, teintée pourtant parfois de réelles respirations et d’instants doux et tendres aussi précieux que rares dans cet univers terrible.

«Tournant le dos, elle marcha dans le sang et remonta vers le bivouac. Abraham la suivit avec un temps de retard. Ainsi était la femme que suivaient avec admiration ses cinq autres camarades et que Lizzie paraissait considérer comme une mère de substitution. Au-delà de cette apparence impitoyable, il perçut la compassion qu’elle déguisait sous la désinvolture, comme les cicatrices hideuses qui déformaient son sourire. Belle était une femme qui grandissait à l’Ouest, tout simplement.»

Émancipation et écologie

Ce roman propose une histoire haletante dont on ne ressort pas tout à fait indemne face aux épreuves traversées par les personnages et à la violence générale qui règne en ces terres. On est cependant très accrochés à son rythme trépidant où la conclusion n’est jamais celle qu’on attend. Aurélie Wellenstein fait osciller le destin d’Abraham entre désespoir et chance, le malmenant à l’extrême tout en l’émancipant de sa qualité initiale, et ce, de plusieurs manières. Cette quête impossible et destructrice le mène à la fois au bout du monde comme au bout de lui-même sans qu’il ne perde jamais totalement ce qui fait de lui une bonne personne. Un exploit dans un monde où la monstruosité n’est pas toujours là où on l’attend. À travers son épopée, Aurélie Wellenstein propose également un lien fort au monde animal en modifiant ici ses contours dans un récit puissant qui invite à modifier notre regard sur la nature. Le regard des personnages est plein de cette ambivalence. Ces terres sauvages sont à la fois vues comme une manne de possibilités et de richesse tout autant qu’une terre à préserver de l’homme et de son avidité destructrice. Une notion d’écologie qui évidemment fait écho à notre monde mais où le retour de bâton de la nature est d’une autre forme de violence dans cet ouvrage de fantasy. Je n'ai regretté qu'un peu d'excès de violence peut-être non nécessaire mais je pense que ce ressenti tient plus d'un sentiment personnel très subjectif et temporaire que d'un réel défaut de l'ouvrage. 

En bref, beaucoup de choses m’ont conquises dans cette histoire, de la réflexion sur la monstruosité à l’absurdité de la vengeance en passant par cette nature qui se rebelle contre l’humanité qui cherche à la piller. La Harpiste des terres rouges est un roman haletant, intense et très sanglant qui renoue avec les récits de dark fantasy sans concession de l’autrice. Il secoue et il marque.

« Nacarat est un vaste territoire rouge, aussi riche que dangereux. Les colons y rêvent d’or et de magie, tandis que les chasseurs de prime tuent les monstres pour revendre leurs organes. Se greffer, c’est acquérir un pouvoir aléatoire, aux effets parfois dévastateurs.

Mais au cœur de ces nouveaux États subsiste une région inexplorée. Symphonie est le domaine de la Harpiste, une créature de cauchemar qui soumet ses adversaires par la musique. Elle fait de la mort et de l’asservissement des spectacles dont elle se délecte.

Abraham sait qu’elle retient son frère, parti quelques années plus tôt tenter sa chance dans le Nouveau Monde. Sur les traces de son aîné, il s’enfonce à son tour dans Symphonie. Le temps presse, le pistolero va devoir se faire des alliés de taille s’il veut espérer revoir Jarod vivant. »

(Illustration de couverture: © Nicolas Caminade)

[Lecture n°41 (54/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 12 de Ma lecturothèque + défi trimestriel « Frissonal » Oct.-Déc. - Faites-vous peur, frissonner dans ce temps qui se refroidit peu à peu]

[Pumpkin Autumn Challenge 2024 - Tableau Automne Frissonnant - Catégorie Fenêtres cassées, portes ouvertes : Piège - Suspense - Créature]