Deux nouvelles de fiction contre l’extrême-droite

Vu le contexte actuel, j’ai décidé de me plonger dans deux oeuvres très courtes de fiction qui évoquent, chacune à sa manière, la vie sous un régime d’extrême-droite. Matin brun de Franck Pavloff a été publiée aux éditions du Cheyne en 1998 et connaît un sursaut d’intérêt massif à chaque percée du fascisme en France mais aussi 18 traductions à son actif. Les fauteurs d’ordre de Jean-Philippe Jaworski vient de sortir aux éditions Denoël, écrite et publiée en express après les résultats des européennes (quelles prouesse!). Et voici ce que j’ai pensé de ces deux textes…

Matin Brun de Franck Pavloff - éditions du Cheyne

Matin Brun est une micro-fiction d’une douzaine de pages (vendu à moins de 3€) dont le titre évoque la couleur de l’uniforme du parti national-socialiste allemand. Elle se situe dans un univers contemporain où le parti au pouvoir, les Bruns, promulguent lois absurdes et censures de manière progressive. On y suit un personnage et son ami, qui, bien que parfois mal à l’aise avec la situation, s’y adaptent pour être tranquilles. C’est le récit d’une lâcheté ordinaire, de cette tendance de l’humanité à détourner le regard, même face à une injustice, pour conserver le confort de la tranquillité. C’est cette capacité à tolérer l’inacceptable tant que ça ne nous met pas totalement en porte-à-faux que dépeint avec beaucoup de justesse l’auteur dans un récit court mais terriblement marquant. Pas étonnant de voir le succès de cette nouvelle dans le contexte de la montée de l’extrême-droite. Parce qu’en si peu de pages, Franck Pavloff dresse un portrait glaçant et réaliste d’un citoyen lambda confronté à l’installation du totalitarisme contre lequel il ne fait rien. Par habitude, par lassitude, pas peur. Jusqu’aux regrets… Court, peu cher, c’est un très bon choix de lecture à faire passer à celles et ceux qui ne saisissent pas forcément l’horreur d’une telle prise de pouvoir. Essentiel.

« J’aurais dû me méfier des Bruns dès qu’ils nous ont imposé leur première loi sur les animaux. Après tout, il était à moi mon chat, comme son chien pour Charlie, on aurait dû dire non. Résister davantage, mais comment? Ça va si vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours. Les autres aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles, non?»

Les Fauteurs d’ordre de Jean-Philippe Jaworski - éditions Denoël

Pour ce texte écrit en urgence, Jean-Philippe Jaworski reste dans son domaine de prédilection, à savoir la fantasy, pour nous offrir une courte nouvelle où nous suivons un zélé du parti au pouvoir qui travaille au sein de la « Justice spéciale » chargée de traquer, intimider, extorquer et tuer des opposants politiques. On découvre l’horreur d’une société arbitraire, raciste, haineuse qui ronge progressivement le droit des gens. Le fait d’être dans la peau de ce membre du parti rend la lecture glaçante car elle nous confronte à l’injustice et à la cruauté de ce pouvoir. Là encore, comme pour Matin Brun, le constat d’un monde injuste où seuls les gens des plus hautes strates du pouvoir sont réellement protégés est terrifiant. Et ce n’est pas la lâcheté ou, même ici, l’obéissance totale qui nous fera éviter la violence de l’injustice. Peut-être moins fort que Matin Brun qui nous met dans la peau d’un citoyen lambda dans lequel beaucoup se reconnaitront, Les Fauteurs d’ordre a cependant le mérite d’être un texte réussi qui, en peu de pages, parvient à dresser lui aussi un constat d’horreur. Il relate comment le pouvoir acquis par un parti fasciste fait rapidement beaucoup de mal à une société, annihilant la solidarité, le respect, le droit des minorités et des femmes et ne laisse personne à l’abri. Chapeau bas pour la rapidité d’écriture et d’édition de ce texte qui mérite vraiment votre attention. 

« Du reste, même si les rues étaient moins animées que naguère, elles étaient également plus propres. On les avait nettoyées de la lie des mendiants, des vagabonds et des coquins; une partie de ces canailles avait été envoyée aux galères ou aux mines, une autre avait été affectée à la voirie et aux terrassements. Sous bonne garde, ces cancrelats curaient les cloaques et les fossés, débarrassaient la chaussée de la paille et du crottin, évacuaient les ordures de la capitale dans des barges ou des tombereaux. Soulagé de cette tourbe, l’honnête sujet respirait mieux. Évidemment, tout n’était pas parfait… Quand soufflait un vent d’est, une puanteur douceâtre venue du grand gibet de Montgerfaud courait dans les rues. »

Petit encart sur d’autres lectures possibles

Les éditeurs se mobilisent aussi pour vous proposer des lectures pleines d’arguments pour contrer l’extrême-droite.

Chez Les Liens qui libèrent, l’ouvrage terrifiant Nouvelles du front de Marine Tondelier qui relate la vie sous le Front National à Hénin-Beaumont est disponible en téléchargement gratuit actuellement. 

Chez Le passager clandestin, c’est Le Pen et la torture de Fabrice Riceputi qui est aussi en téléchargement numérique offert. Pour avoir des arguments historiques et se confronter à l’horreur de l’héritage du RN.

En bref, Matin brun comme Les Fauteurs d’ordre sont deux récits courts mais très importants qui, sous couvert de fiction, illustrent avec justesse les dangers d’une prise de pouvoir de l’extrême-droite. Peu chères, rapidement lues mais marquant les esprits, ces deux nouvelles sont essentielles dans le contexte actuel. Courage et force à vous, vous n’êtes pas seul·e à angoisser.

« Charlie et son copain vivent une époque trouble, celle de la montée d'un régime politique extrême : l'Etat Brun.

Dans la vie, ils vont d'une façon bien ordinaire : entre bière et belote.

Ni des héros, ni de purs salauds.

Simplement, pour éviter les ennuis, ils détournent les yeux.

Sait-on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de chacun d'entre nous ? »

(Graphisme de couverture: Martine Mellinette)

« Azurée Capitolina s’est récemment emparée du conseil de Régence en s’appuyant sur l’exaspération populaire contre la corruption des élites.

À son service, le conseiller Praetor est chargé de la politique d’épuration dans le royaume. Il applique les nouvelles lois de restauration de l’ordre et de purification ethnique avec un zèle et une efficacité - redoutables. Spoliations, interrogatoires musclés, pendaisons arbitraires, intimidations… son quotidien le satisfait pleinement, convaincu qu’il est d’être dans son bon droit et d’œuvrer pour le bien commun. Et si les honneurs venaient le récompenser, ce ne serait que justice.

Mais est-il pour autant à l’abri d’un inattendu revers de fortune ? Ce pouvoir dont il est le bras armé ne risque-t-il pas de mordre – voire dévorer – la main qui le sert ? »

CW (contenus pouvant heurter la sensibilité sur la base d'une liste établie par Planète Diversité): Classisme, Meurtre, Nourriture, Racisme, Torture

[Lecture n°29 (37/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 12 de Ma lecturothèque]