La Halle

Premier roman de l’auteur de poèmes Julien Syrac, La Halle est une fable contemporaine parue le 2 mars dernier aux éditions de la Différence qui me l’ont très gentiment envoyé et que je remercie chaleureusement (merci surtout à Pascal Barale, encore une fois!). Loin d’être un roman sur lequel je me serai arrêté, à priori, je suis d’autant plus émue de vous annoncer une alerte coup de coeur à laquelle je n’étais pas du tout préparée!

De l’art de faire de l’ordinaire une oeuvre d’art 

Y-a-t-il plus merveilleuse sensation, quand on est lecteur, que celle de vivre un immense coup de coeur sur un livre qu’on n’aurait jamais lu de prime abord? Celle de découvrir un tout jeune auteur, un style d’écriture d’une beauté épatante et qui, en quelques lignes, nous fait réaliser que ce que nous sommes en train de lire est de la grande littérature? C’est ce que j’ai vécu avec La Halle, un choc surprenant et inattendu auquel je n’étais pas préparée, redoutant même la lecture de ce qui, pour moi, n’était « pas mon genre » à priori… Quelle erreur! Dès le prologue (particulièrement peu ragoûtant si vous aimez un tant soit peu les animaux), le style incisif, un brin cynique, parfois presque clinique, mais toujours profondément sincère vous saute à la figure. Julien Syrac sait parler de choses ordinaires, de personnes ordinaires, avec une plume enivrante et captivante. Il dresse des portraits épatants d’authenticité (en tout cas beaucoup plus authentiques que les saucissons du narrateur) de ces gens de la Halle, vendeurs écrasés par la société qui tentent de survivre, acheteurs et passants eux aussi imprégnés de vie et de misère. Il parle de vie, la vraie, sincère, parfois difficile, réaliste, crédible et authentique. Si peu de choses se passent, on se retrouve pourtant complètement happés et immergés dans cette Halle dont on a l’impression de connaître les protagonistes tant ils sont justes. Et quelle beauté! Parler de l’ordinaire et créer autant de fascination c’est signe d’une grande qualité littéraire. Il y a presque une âme de Zola dans ces lignes… et ce n’est que son premier roman. Epatant! A quel point certains portraits sont issus d’un vécu, je ne sais pas, mais ils me semblent tous si réels que ça en ait troublant.

« Il dit que la ville est une machine à te prendre, te recracher, t’oublier, qu’on n’y bâtira jamais rien, que vouloir y laisser une trace est absurde, qu’au mieux ça donne une de ces pathétiques photos en noir et blanc comme il y a à l’entrée de la Halle à côté du panonceau Histoire de la Halle de Marrec. Alors autant être une petite fleur, faner et mourir, mais avoir eu des couleurs. »

Une fable contemporaine captivante

Julien Syrac ne nous promet pas un roman au rythme trépidant, enchaînant rebondissements et révélations, ni une épopée épique, il nous dresse plutôt des portraits de vie, sur une journée, sur un temps donné, dans cette Halle bouillonnante où se croisent tant de destins. Moi qui suis habituée à lire des romans qui ne laissent pas respirer le lecteur un seul instant, je craignais la lecture de cette « fable contemporaine », imaginant un récit contemplatif plat. Loin de là, car si il y a de la poésie et de la philosophie dans la plume de l’auteur, le récit qu’il propose est loin de se contenter de jolis mots lancés dans le vent. Sa sincérité embarque complètement au point que je n’arrivais pas à décrocher du roman. Et si parfois, vers la fin, quelques moments plus lents se sont fait ressentir, l’écriture sublime les a éclipsés dans mon esprit. C’est une histoire touchante qu’il nous propose, comme un portrait de notre propre existence, de la société actuelle aussi. Il parle art, culture, immigration, solitude, séduction, douleurs et délivrances. Et c’est passionnant! Croyez-moi, j’en suis a première surprise, jamais je n’aurai pensé passer un moment de lecture si hypnotisant et immersif à la vue du résumé. Je crains de ne pas rendre suffisamment honneur à ce petit roman qui m’a transporté de la première à la dernière ligne, par sa plume si marquée, si forte et si belle. C’est simple, ne serait-ce que lorsqu’il parle de la vente de saucissons (le métier du narrateur à la Halle), cela a fait écho à tellement d’expériences de ma propre vie, passée et présente, que j’ai été touché et embarqué comme si ce simple sujet était diaboliquement envoûtant. Et les chapitres avec Avi, le jeune roumain préposé au café, sont d’une sagesse passionnante… Je pourrai vous parler de ce livre pendant des heures, mais je crois que le mieux, c’est de vous laisser le découvrir.

« Si Avi, même une seule seconde, démontrait à Patrick M. et toute sa clientèle qu’il est plus intelligent et cultivé qu’eux, la hiérarchie des bêtes et des dompteurs vacillerait. Et quand on ne sait plus où sont les dents et dans quelle main le fouet, c’est mauvais pour le commerce, l’ordre mondial s’écroule. »

En bref, il faut parfois oser aller en dehors de sa zone de confort, vers des romans qui ne sont pas, à-priori « faits pour nous », pour vivre des expériences aussi fortes que celle que j’ai pû vivre avec La Halle de Julien Syrac. Un roman épatant, sincère et magnifiquement écrit.

« La Halle est une fable contemporaine, réaliste et endiablée, qui raconte la cohabitation laborieuse d’hommes et de femmes dans une halle grande comme le monde, où ils viennent travailler, boire, manger et tenter de rêver. Le rêve, pour certains, c’était encore la galerie d’art au premier étage de la Halle. Mais elle fermera ce soir, bientôt remplacée par un supermarché végétalien. Dans le microcosme de la Halle, l’annonce de ce changement de voisinage fait l’effet d’une secousse : bref on en parle, on juge, on prend parti. Depuis son étal et dans l’attente d’une surprise qui tarde à venir, le vendeur de saucissons, ami du galeriste sacrifié, fait la chronique de cette journée où tout s’accélère, révélant quelles illusions, peurs et rancunes agitent la faune de la Halle, si désespérément humaine. Or au procès du sacrifice on ne trouve ni coupables, ni accusés, car c’est la Halle seule, ce Moloch, qui décide du sort des enfants qu’on lui jette. Qui aura le courage d’abattre la bête? »

Pour lire un extrait, cliquez ici (amis végétariens ou amis amateurs de saucissons, attention le prologue n’est pas tendre).