Mes trompes, mon choix ! Stérilisation contraceptive: de l’oppression à la libération

Publié au mois de mars cette année aux éditions Le passager clandestin, Mes trompes, mon choix! est un essai abordant la question de la stérilisation contraceptive écrit par Laurène Levy. Accompagné d’une préface de Martin Winckler, ce texte engagé tâche de mettre à jour les raisons du tabou entourant la stérilisation volontaire tout en éclairant ce choix. Un sujet qui m’intéressait beaucoup de voir abordé dans un ouvrage consacré. Voici ce que j’en ai pensé…

Une tentative d’explication du tabou

Que trouve-t-on dans cet essai? Laurène Levy part du constat qu’il est très difficile, en particulier pour les femmes, d’obtenir l’accès à une stérilisation contraceptive malgré un cadre légal (en France) et d’autant plus pour celles qui n’ont jamais eu d’enfant. Elle tente alors de plonger dans les raisons de ce tabou, qu’elles soient culturelles ou historiques, en pointant, non sans un certain ton piquant très plaisant, les contradictions de ce refus. On y aborde notamment les abus des stérilisations punitives et/ou raciales imposées dans l’histoire, et  encore aujourd’hui dans le monde, que ce soit sur des populations d’une certaine ethnie, dans une volonté d’eugénisme ou sur des populations atteintes d’un handicap. Une contradiction terrible qui s’est opérée, et s’opère encore, dans des cultures pourtant très natalistes. Elle évoque également les raisons religieuses, patriarcales mais aussi, plus surprenantes, ésotériques liées à cette image de la femme destinée à enfanter. Si je connaissais beaucoup de ces aspects répugnants, notamment sur les expériences des nazis ou sur les peuples autochtones au Canada ou en Chine, j’ai aussi appris certaines injustices horribles, notamment en qui concerne les personnes trans (obligées de se stériliser jusqu’en 2010. 2010!!). Bref, l’aspect historique/documenté de l’essai est passionnant, très accessible et révoltant. Mais Laurène Levy va au-delà et propose aussi un état des lieux aujourd’hui.

« Décourager, infantiliser, moquer les personnes qui demandent une stérilisation, en particulier si ces personnes sont des femmes, est monnaie courante dans les cabinets médicaux. Ces violences verbales sont non seulement la preuve d’une domination patriarcale de la société sur nos corps, mais aussi celle d’un paternalisme médical persistant. Elles sont le témoin d’une infantilisation des femmes, du peu de crédit que l’on accorde généralement à leurs choix ou à leurs positions. »

Et aujourd’hui, comment changer les choses?

L’autrice évoque alors le parcours quasi impossible pour celleux qui souhaitent aujourd’hui accéder à une stérilisation, notamment pour les femmes. Elle souligne avec beaucoup de justesse la violence renvoyée par le monde médical, mais aussi la société dans son ensemble, à l’égard de celles qui ose affirmer ce choix, en particulier les childfree. Mon parcours personnel de combattante qui a obtenu le graal de la stérilisation sans enfant il y a quelques années seulement a évidemment trouvé ici un écho fort. J’ai vécu tout ça et je peux donc témoigner de la sincérité de cet essai, tout comme du sentiment de libération quand, enfin, on a accédé à ma demande sans m’humilier. Cet essai est à mon sens nécessaire, dans un monde où la parole tend enfin à se libérer mais où le tabou reste très présent et la violence toujours aussi difficile à encaisser. L’autrice évoque aussi le problème terrifiant de la méthode Essure (si vous n’êtes pas au courant ou si vous êtes victime, renseignez-vous auprès de l’association R.E.S.I.S.T.). Un drame terrifiant qui rappelle combien la parole des femmes est remise en question et leur santé mise au second plan. Je suis ravie de voir ce sujet abordé dans cet ouvrage avec les ressources nécessaires pour celles touchées, ma soeur en faisant partie. Enfin, Laurène Levy termine l’ouvrage par des aspects pratiques: quelles méthodes de stérilisation? Comment y accéder? Où trouver de l’aide pour accéder à ce droit sur nos corps? Des pistes nécessaires pour celleux qui souhaitant procéder à l’opération. Avec un ton parfois joyeusement sarcastique et une écriture inclusive bienvenue sur le sujet, l’autrice nous invite à la tolérance et au respect des choix de toutes et tous en ce qui concerne leur corps et leur vie. L’ouvrage se lit aisément et prend aussi une certaine distance qui permet de saisir l’ampleur du travail à faire pour que ce choix soit mieux accepté tout en invitant à le considérer comme une normalité parmi tant d’autres. Et ça, ça fait du bien! 

En bref, que vous soyez concerné·e, en recherche de pistes ou simplement intéressé·e par le sujet de la stérilisation contraceptive, et plus largement, de la question du respect de nos choix pour nos corps, l’ouvrage de Laurène Levy est une excellente lecture. Joyeusement sarcastique parfois, bien documenté et invitant à une tolérance de toutes les décisions, c’est un essai qui manquait dans les rayons des librairies et qui permet d’aborder de manière centrale une question encore trop souvent tabou. Je l’ai trouvé extrêmement juste en tant que concernée et je suis ravie d’avoir eu l’occasion de le lire!

« Légale depuis 2001 en France, la stérilisation reste taboue. Culpabilisées, infantilisées, méprisées, considérées comme « anormales », les femmes qui prétendent à cette méthode contraceptive affrontent les critiques de leurs proches et les réticences du corps médical. Nombreux·ses sont encore les médecins qui refusent cet acte à des patientes jugées « trop » jeunes, surtout si elles n’ont jamais eu d’enfant. Commence alors pour elles un véritable parcours de la combattante.

Ce constat est le point de départ de l’analyse claire et scrupuleuse menée par Laurène Levy. Pourquoi la contraception définitive a-t-elle si mauvaise réputation ? Aux conséquences d’une histoire douloureuse – stérilisations forcées à visée eugéniste ou raciste, politiques natalistes, interdits religieux… – se greffe l’obstacle symbolique. Accepter qu’une femme adopte la stérilisation, c’est admettre enfin son droit de s’émanciper de l’injonction à la maternité.

Alors comment transformer les mentalités pour que la stérilisation passe du statut d’outil d’oppression à celui d’instrument de libération ? Comment gagner cette nouvelle bataille du droit à disposer de nos corps ?»

(Illustration de couverture: © Quentin Poilvet)

> Lire un extrait < (© Le passager clandestin)