Trois jours et une vie

Auteur prix Goncourt et Goncourt lycéen 2013 pour son roman Au revoir là-haut, Pierre Lemaître signe cette année un thriller psychologique publié chez Albin Michel et intitulé Trois jours et une vie. Puisqu’il est encensé par la critique et surtout parce qu’il a fait l’objet d’une chronique très exaltée de Ju lit les mots sur son blog, j’ai eu très envie de le lire pour me confronter, moi aussi, à ce roman si apprécié…

Une fine analyse psychologique

Nous suivons ici l’histoire d’Antoine, jeune garçon pour qui un évènement traumatisant va créer un bouleversement entraînant lui-même à « l’accident » qui marquera toute sa vie. En une fraction de seconde, son univers se retrouve chamboulé et son existence ne sera plus jamais la même, entre peur terrible et attente. Dans ce court thriller (280 pages), Pierre Lemaître nous offre une fine analyse psychologique de l’effet angoissant et oppressant de la culpabilité et du remords, du poids du secret inavouable, de la peur d’être découvert tel que nous sommes et en même temps du soulagement que cela pourrait procurer si tout se savait enfin. Il nous met nous-mêmes en question, nous interroge sur ce que nous aurions fait dans ce cas de figure, nous pousse dans nos retranchements jusqu’à ressentir une certaine gêne, presque physique. Et ce qui est remarquable c’est que si, à la lecture, je n’appréciais pas plus que cela le livre (du moins pas autant que je l’aurai pensé), après coup, je réalise que c’est à cause du malaise qu’il me procurait et cela en fait, du coup, un très bon roman, finement mené. Pierre Lemaître décrit assez précisément le mal-être de l’angoisse terrible, celle qui prend aux tripes, et ce, sans écrire un livre sanglant puisqu’il reste purement psychologique. Nous n’en ressortons pas tout à fait indemne.

« La panique s’emparait de lui, l’imminence de la catastrophe engloutissait sa vie, il devait déployer des efforts gigantesques pour faire retomber toute cette pression à grands coups de respiration lente, d’auto persuasion et surveillait les palpitations de son imaginaire comme un moteur dont on guette avec anxiété le refroidissement après une brusque surchauffe. »

Réflexions et microsociété

Au-delà de l’aspect psychologique, c’est le regard que nous offre Pierre Lemaître sur ce microcosme que constitue un village replié sur soi qui est aussi très précis et savoureux. Il a su, en toute simplicité et en quelques mots, nous offrir un panorama précis de Beauval, village où se déroule l’action, et de ses habitants. Sans détail superflu, on saisit immédiatement à quel type de microsociété nous avons affaire, quels en sont les codes, les règles sous-jacentes, et l’impact des évènements du livre sur un lieu comme celui-ci. Cette fresque précise offre une ambiance très particulière à l’ouvrage et renforce les réflexions qu’il nous impose. Pierre Lemaître va au-delà de la réflexion sur le sentiment dévorant de culpabilité en soulevant aussi les questions de la rumeur, du conformisme et même quelque peu de la religion… le tout en très peu de pages, rappelons-le.

« Et il y avait, dans le tableau de ce taureau retenant sa fureur, de cette femme dévastée et de leur fille immature qui transpirait le sexe et l’échec, quelque chose de déchirant. »

Une écriture (un peu) dérangeante

Si je reconnais volontiers le travail précis sur l’aspect psychologie des personnages de ce livre et son ambiance, je dois avouer que j’ai quand même eu du mal à accrocher pleinement à l’histoire au départ. L’effet addictif n’a pas été là pour moi, ayant trainé ce petit livre sur une semaine entière et n’ayant finalement accroché que sur le dernier tiers. Peut-être n’étais-je pas dans une humeur idéale pour sa lecture, peut-être que le malaise qu’il me procurait y était pour quelque chose… Mais j’ai été assez dérangée par l’écriture que j’ai trouvée assez inégale. Tantôt magnifique, soignée, précise, tantôt assez vulgaire. J’ai aussi trouvé au rythme une certaine lenteur malgré l’intensité que le récit propose mais qui peut s’expliquer par les répétitions de pensées et le repli complet sur soi qu’imposent le thriller psychologique pur. Je ne l’ai pas apprécié autant que je l’aurai pensé, le trouvant parfois même un peu « mou » et peut-être sans suffisamment de rebondissements (bien que la fin a été une surprise pour moi). Je crois surtout que le déroulement de la vie d’Antoine ne correspondait pas à ce que j’espérais et j’en reste un peu frustrée…  Ce n’était peut-être simplement pas le bon moment pour le lire pour moi et ça ne doit aucunement vous enlever l’envie de le découvrir.

« Il y avait quelque chose de douloureux à constater qu’une jeune femme si délicieuse, si sexy, puisse être aussi franchement sotte. »

En bref, si je suis légèrement déçue par Trois jours et une vie, je lui reconnais les qualités d’analyse fine sur l’aspect psychologique et la capacité à créer, en si peu de pages, un malaise réel sans aller dans le sanglant à aucun moment. Je reste un peu sur ma faim mais je vous invite à le découvrir, ainsi que la critique beaucoup plus élogieuse de Ju lit les mots pour vous faire votre propre opinion.

"A la fin de décembre 1999, une surprenante série d'événements tragiques s'abattit sur Beauval, au premier rang desquels, bien sûr, la disparition du petit Rémi Desmedt. Dans cette région couverte de forêts, soumise à des rythmes lents, la disparition soudaine de cet enfant provoqua la stupeur et fut même considérée, par bien des habitants, comme le signe annonciateur des catastrophes à venir. Pour Antoine, qui fut au centre de ce drame, tout commença par la mort du chien..."