Gaz : plaidoyer d’une mère damnée

Ecrit dans le cadre d’une commémoration de la première utilisation d’un gaz de combat dans l’histoire de l’humanité (à Ypres, durant la 1ère GM), Gaz: plaidoyer d’une mère damnée est un monologue néerlandais joué au théâtre par Viviane de Muynck et signé Tom Lanoye, écrivain engagé et reconnu pour son talent, notamment dans l’écriture théâtrale. Il s’agit ici de son premier monologue. 

Puissant, intense, frappant. Les adjectifs pourraient continuer ainsi longuement tellement ce très court texte de moins de 80 pages m’a frappé en pleine figure pour me marquer à vie. En peu de mots, Tom Lanoye nous envoie une claque magistrale sur un sujet bien difficile à traiter et à aborder. Nous écoutons le monologue d’une mère comme tant d’autres, qui nous parle de son fils, de son rôle de maman, de sa colère et de sa douleur sous-jacentes. Petit à petit, à demi-mots, se comprend la cruelle situation de cette femme, mère damnée d’un fils terroriste, victime elle aussi de cet acte car en deuil de son enfant. C’est apporté doucement, pas par pudeur mais parce que, pour cette femme, son fils ne se résume pas à sa triste fin. 

« Et je ne sais ce que je crains le plus. Que ses actes soient effectivement dus à quelque chose dont moi, je serais l’origine. Des frustrations, des traumatismes, que sais-je encore? Ou alors que je sois entièrement étrangère à tout cela. Que rien de ce que je lui ai apporté ne l’ait arrêté ou même freiné. »

L’auteur a su trouver les mots justes pour évoquer une situation que nous oublions. Cette mère nous parle de sa souffrance qu’elle ne peut pas exprimer, car elle est montrée du doigt comme responsable. Elle nous parle de sa colère de ne plus posséder ce fils que les divers groupes utilisent tantôt comme barbare, tantôt comme martyr. Elle nous parle de nos jugements trop hâtifs, tout en s’accordant sur le fait qu’elle réagirait comme nous. C’est frappant de vérité et de justesse, ça nous remet en question sans cesse et c’est superbement écrit! C’est simple, je marque toujours les citations les plus fortes d’un livre, ici j’en aurai volontiers gardé une sur chaque page. 

« Ils font de lui alternativement un héros ou une bête. Sans moyen terme: barbare ou martyr. Et moi je le cherche. C’est mon enfant à moi. Pas un trophée de je ne sais quelle grande cause. »

La mère ne parle pas que de ce fils, elle philosophe aussi sur notre société, sur nos modes de vie. Elle implique le spectateur/lecteur dans ce qu’elle énonce et nous montre du doigt à son tour. C’est infiniment plus riche qu’un simple discours, c’est un rappel à l’ordre, une sonnette d’alarme et une prise de conscience nécessaire. 

« Ce n’est pas la vieillesse qui nous tue, c’est la routine. Elle nous tue même de notre vivant. Comme un parasite qui nous consume jusqu’à ce qu’on tombe. »

Je pense sincèrement que tout le monde doit lire ce petit texte, ne serait-ce que pour essayer de comprendre l’autre et de s’ouvrir à une réalité sordide que l’on repousse systématiquement chez les autres mais qui peut bouleverser nos vies malgré nos croyances. Et même si le discours ici apportée ne vous convainc pas (car c’est ça ce qui est beau aussi dans la vie, chacun peut avoir son opinion), la force du texte et sa qualité indéniable mérite qu’on y jette un oeil. 

En bref, c’est court mais intense, c’est juste et puissant et ça vous file une sacrée claque! A lire!!

« Un jeune homme a commis un attentat au gaz : 184 morts, 30 blessés, parmi lesquels 70 écoliers, 20 enfants en bas âge dont le plus jeune n’avait pas trois mois. La mère de ce jeune homme est seule en scène. Elle raconte sa grossesse, la petite enfance de son fils, l’adolescence. Qu’a-t-elle fait de mal ? Pourquoi son fils s’est-il laissé embrigader dans cette spirale djihadiste ? Il n’était pas pire qu’un autre. Elle était une mère aimante. Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? L’attentat monstrueux qu’il a commis rend même sa douleur irrecevable. »

(Illustration de couverture: ©Vadim Korniloff)

Présentation de la pièce: