Mary Toft ou La reine des lapins

Au tout début de cette année, les éditions La table ronde publiaient, dans la collection Quai Voltaire, un roman de Dexter Palmer, intitulé Mary Toft ou La reine des lapins. Traduit par Anne-Sylvie Homassel, ce roman au résumé étonnant se base sur un fait divers historique réel: celui de Mary Toft qui, en 1726, accoucha de lapins morts démembrés et bouleversa le monde médical. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour titiller ma curiosité. Voici donc ce que j’en ai pensé…

[NB: Un grand merci à la maison d’édition pour ce livre et à la traductrice, Anne-Sylvie Homassel pour leur avoir fourni mon contact en pensant que ce roman m’interpellerait…]

Une plongée au coeur de la nature humaine

Avec ce fait divers, l’auteur tisse une histoire qui nous plonge au coeur d’une époque mais aussi, et surtout, à la rencontre de l’âme humaine. Car l’histoire de Mary Toft, d’abord cas bien étrange circonscrit à un village, prend vite une certaine ampleur qui dénonce plusieurs mécanismes sociaux qui sont toujours d’actualité. Il y d’abord la foule qui se réapproprie les faits et brode autour des silences pour construire de multiples vérités toutes plus absurdes les unes que les autres, à base de croyances et de fantasmes. Une foule qui tantôt verra une situation terrible, tantôt une preuve de l’existence de Dieu et qui use des malheurs de Mary Toft comme d’un moyen d’exister. Et puis il y a le monde médical et celui des aristocrate, imbus d’eux-mêmes et avides de gloire et d’autorité, osant sombrer dans la croyance eux aussi pour que ce cas exceptionnel puissent faire entrer leurs noms dans l’Histoire et n’osant s’avouer dans l’erreur. De la construction des rumeurs et des fake news à la croyance populaire, c’est un fait et un roman qui soulignent avec brio les illusions collectives auxquelles on s’accroche pour conserver sa dignité, et ce aux dépens de la raison ou du bien des autres. Et puis il y a Mary. Mary silencieuse et centrale, Mary que tout le monde observe, dont tout le monde parle, mais que personne n’écoute. Un chapitre, au coeur du roman, lui donne soudain la parole et nous colle une sacré gifle dans un texte à l’écriture grandiose qui mérite pleinement la découverte du roman dans son ensemble à lui tout seul. Là-dessus, je suis bien d’accord avec Feyd Rautha. 

« Zachary en vint à penser que cette foule, bien qu’elle ne se le fût jamais avoué, souhaitait peut-être que cette femme fut malade, voulait que son mal durât, que sa renommée crût, afin que ceux qui se trouvaient pour l’heure au milieu de ce modeste cortège pussent bientôt marcher en tête d’une procession bien plus vaste ; et que la procession, plutôt que de servir cette femme ou le Dieu dont le nom était si aisément invoqué, pût enfin ne servir qu’elle-même. »

Au-delà de Mary

En allant aussi au-delà de l’histoire de Mary Toft, Dexter Palmer explore le fonctionnement du conformisme en pointant les effets d’influence d’une appartenance à un groupe sur les individus. Que ce soit celles et ceux qui veillent Mary Toft, les groupes s’opposant devant un opéra ou encore les Lords se délectant de spectacles sordides, le roman décrit avec une justesse folle les bienfaits de l’effet de groupe mais aussi ses plus grands travers, notamment la dissolution de la morale. Cela entraîne des scènes parfois dérangeantes et notamment un chapitre qu’il m’a été difficile de supporter avec une cruauté animale, malheureusement elle aussi historique, qui est difficile à lire. Mais excepté ce passage précis, l’ensemble du roman m’a passionné. C’est un roman à la fois captivant, pour la découverte de ce fait assez incroyable que je ne connaissais pas, mais aussi un texte très juste aux personnages remarquables. L’ensemble ne manque pas de piquant, avec par exemple des femmes de caractère (Alice est particulièrement formidable), ou encore certains traits de sarcasme savoureux à propos de la société de l’époque. C’est une lecture qui me sort des habitudes et qui a réussit à m’enthousiasmer de bout en bout par la justesse de son écriture et de sa traduction.

« Ces poches d’air qui chez l’homme produisent pets et rots n’ont aucune importance, mais les espaces intérieurs du corps féminin: Dieu leur assigne une mission si noble que la propriété qu’en ont ces femmes ne peut être que provisoire. Ces espaces vides ne peuvent être laissés tels sans raison - ils sont là pour être pénétrés, envahis, farcis jusqu’à l’explosion. La règle des hommes: tout espace doit être rempli. »

En bref, Mary Toft ou La reine des lapins est un roman très réussi qui nous plonge au coeur d’un fait divers réel aussi hallucinant que captivant qui nous permet de plonger au coeur d’une époque mais surtout au coeur de la nature humaine. Formidablement écrit, notamment pour la psychologie des personnages et les mécaniques sociologiques en jeu, ce roman est une lecture passionnante bien que parfois dérangeante.

« 1726, Godalming. John Howard, médecin et chirurgien, enseigne les vertus de la rationalité à son apprenti Zachary Walsh, le fils du pasteur. Son savoir est toutefois mis à rude épreuve le jour où la femme d’un paysan des environs donne naissance à un lapin, mort et démembré. Faut-il y voir une volonté divine ?

Quand cet événement isolé devient chronique, John comprend que rien dans son expérience de médecin de campagne ne l’a préparé à résoudre une telle énigme. Il s’en remet aux meilleurs chirurgiens londoniens et, l’affaire étant parvenue aux oreilles du roi George, Mary est transportée à la capitale.

Miracle, monstruosité, punition divine, malformation rarissime… ou supercherie ? Tout l’art de Dexter Palmer est de faire douter le lecteur du XXIe siècle, qui finit par attendre, lui aussi, un nouveau miracle.»

(Illustration de couverture : © Nicolas Galy )

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