Soeurs dans la guerre

Publié en mai 2021, Sœurs dans la guerre est une dystopie féministe écrite par Sarah Hall. C’est au détour d’un passage chez le Maki que j’ai découvert ce titre et que j’ai eu envie de le lire à mon tour. Il est traduit par Éric Chedaille et édité aux éditions Rivages. Et voici ce que j’en ai pensé…

"Alors, dis-moi, est-ce la peur qui t'a arrêtée? La peur des représailles? La peur de ce qu'ils pourraient te faire par ailleurs? Soeur, quel degré d'inacceptabilité une situation doit-elle atteindre pour qu'une femme se batte, non pas seulement pour se défendre, mais parce que, comme tu l'as dit, la cause justifie qu'on se batte?"

Une anticipation glaçante de réalisme

Dans ce roman, l’univers s’installe progressivement et l’autrice nous dépeint une Angleterre de demain terrifiante car trop proche de ce que l’avenir semble nous réserver. Elle nous décrit une société de contrôle absolu, pour redresser la barre après un effondrement écologique et économique. Un monde fait de restrictions, de soumission à l’Autorité et, bien évidemment, pour les personnes dotées d’un utérus, de contrôle strict de leurs capacités de reproductions sans leur demander leur avis. C’est dans ce monde glaçant de réalisme que nous suivons une femme qui n’en peux plus et tente le tout pour le tout pour un brin d’espoir en rejoignant une communauté de résistantes qui vivent à la dure dans les montagnes du Nord. La contre-société proposée est elle aussi écrite avec beaucoup de finesse et de réalisme, évitant l’écueil de l’utopie pour nous parler d’un monde rude, fait lui aussi de sacrifices et de contrôles mais qui laisse pourtant un profond sentiment de liberté. Cette autre société est pourtant bien cruelle à sa manière bien que ses intentions semblent plus justes. Tant dans les psychologies des personnages que dans le fonctionnement des deux systèmes, Sarah Hall nous signe un roman précis et travaillé qui laisse des marques.

"La liberté suppose responsabilité, privilège et conscience. Elle s'accompagne de choix difficiles."

L’espoir infime mais nécessaire

Le roman, bien que cruel, n’en conserve pas moins une certaine beauté. On y décèle des moments de grâce par exemple dans les descriptions de la nature, sauvage et rude, du nord, lors de brefs instants de nature writing qui semblent suspendre le cours du temps. L’autrice nous offre aussi de doux moments, ceux qui participent à l’esprit de communauté, qui allègent les labeurs et les difficultés par quelques instants de partage et de joie simple. Dans ce monde difficile où tout espoir semble vain, c’est pourtant celui ténu, que les choses peuvent un jour changer, qui porte les personnages et les pousse à aller de l’avant. Un espoir cruel car il nécessite parfois trop de sacrifices, trop de peine, mais un espoir nécessaire pour se dépasser. C’est aussi beau que dur ce roman, et c’est pour ça que j’ai adoré. J’ai notamment été soufflée par le personnage de Jackie, charismatique leadeuse de ce microcosme féministe engagé. Une figure qui impose son aura, sa colère aussi, et qui pourtant tient fièrement les reines de sa création. C’est un personnage qu’on peine vraiment à aimer, mais qui impose néanmoins un respect. Le roman est suffisamment subtil et bien écrit pour nous offrir de telles ambiguïtés. C'est un roman qui se permet, du coup, d'aborder des sujets épineux avec justesse, comme l'embrigadement, la résignation ou encore le traumatisme. Grandiose!

En bref, Sœurs dans la guerre est une excellente découverte. Cette dystopie glaçante de réalisme est un roman cruel et engagé qui arrive à conserver une certaine beauté dans la douleur. C’est une œuvre féministe subtile et très bien écrite qui ne peut pas laisser indifférent et laisse des marques à la lecture.

« Au creux des montages du nord de l’Angleterre, dans le lake district éloigné des villes, une poignée de résistantes affranchies d’un monde en miette vivent en communauté à Carhullan, ferme qui tire de la terre rude les moyens de leur subsistance et de leur liberté. Sœur pense à elles depuis bien avant l’effondrement et l’instauration d’un régime autoritaire qui organise le strict rationnement des ressources et la régulation violente des naissances. Adolescente, déjà, elle était fascinée par leur présence insolite au marché où elles venaient vendre leur production. Adulte, c’est la conscience de leur existence qui lui donne la force d’imaginer un avenir possible, une vie debout, en marge du joug des Autorités, et des hommes. Prête à glisser hors du monde officiel, Sœur se met en route pour les rejoindre, déterminée à affronter toutes les épreuves. »

(Photographie de couverture : © Freddie Ardley)

D’autres avis sur la blogosphère : Les lecture du Maki, …

[Diversité : pp bisexuel.le, ps lesbienne, ps noir.e]

> Content warning <

[Lecture n°7/108 (pour l'échelon 5 Synchronisation avec la page) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 10 de Ma lecturothèque + thème bimestriel Famille choisie]