Meurtres pour rédemption

Karine Giebel, plume acérée du thriller francophone, est une auteur qui n’est pas amatrice des happy ends, et qui n’est pas connue pour faire dans la dentelle. Elle signait en 2006 Meurtres pour rédemption, re-publié chez Fleuve noir en 2010 puis en poche en 2011 aux éditions Pocket. Je mourrai d’envie de le lire depuis le conseil d’Anais-serial-lectrice et je l’ai obtenu grâce à un concours de Camille de « Lectures gourmandes ». Je remercie vivement ces deux blogueuses car je déclenche une alerte coup de coeur grâce à elles! 

Quelle claque!

Alors que j’ai achevé, dans les larmes, les presque 1000 pages de Meurtres pour rédemption, je peine à trouver les mots pour expliquer à quel point ce livre m’a marqué et me marquera longtemps… On y suit Marianne, jeune fille de 20 ans enfermée à perpétuité pour meurtres. Marianne la violente, Marianne l’intenable… mais surtout Marianne qui derrière sa carapace pour survivre souffre au plus profond de son être, est noyée de remords, a été trahie par la vie et s’en prend plein la tronche. Et alors que nous, lecteurs, nous pouvons voir derrière son armure de dur à cuire la souffrance qui se cache, nous nous mettons à nous attacher à elle, irrémédiablement, et à souffrir de concert avec elle. A chaque coup, chaque peine, chaque humiliation, chaque torture. Car la vie carcérale est ici décrite froidement, sans compromis, aussi violente et cruelle qu’elle peut l’être entre l’angoisse, la loi du plus fort, les sévices physiques et psychologiques, les privations, etc. C’est brutal, la plume est acérée, et on s’en prend plein la tronche, claque après claque, à chaque chapitre. On ne peut en ressortir indemne, car comme la vie de Marianne ne lui laisse aucun répit, nous non plus nous n’en avons pas pendant 1000 pages intenses et dures qui laissent une empreinte longue durée dans notre esprit. Ames sensibles s’abstenir car Karine Giebel n’est pas tendre avec ses personnages, et certainement pas avec nous.

« Tous les soirs se ressemblent, les nuits aussi. Et les jours, c’est pareil. A quoi se raccrocher, alors? Aux repères, ceux qui rythment le temps, évitant qu’il ne devienne une hideuse masse informe. S’y cramponner, comme à des arbres au milieu d’une plaine infinie, à des voix au coeur du silence. A chaque heure, quelque chose de précis. Gestes, odeurs ou sons. Et, au-delà des murs, le train. Décibels de liberté venant briser l’aphasique solitude. Celle-là même qui vous dévore lentement, morceau après morceau. Qui vous aspire sans heurt vers les abîmes du désespoir.»

Un récit intense

Quand j’ai vu la taille de ce livre, je me suis dit « quelle brique » et j’ai craint d’y trouver des longueurs. Or, à peine le prologue lu j’étais happée, envoûtée, accroc, et chaque fois que je devais reposer le livre pour une pause, j’éprouvais une sorte de manque. Je l’ai dévoré avidement! Le récit, bien qu’en quasi-constant huis-clos, ne souffre d’aucune pause. Tout y est intense, haletant, ne permettant aucun répit, aucun repos. D’uppercut émotionnels en rebondissements inattendus, Karine Giebel nous entraîne d’une main de maître dans une histoire où la tension est omniprésente. Meurtres pour rédemption a un sacré effet page-turner, et ses 1000 pages défilent si vite qu’on regrette sincèrement d’arriver à la fin. En tout cas, pour ma part, je n’avais aucune envie de refermer le livre, mais je me rends compte qu’après l’avoir terminé, celui-ci reste en moi et me hantera encore longtemps. Je ne me remettrai pas facilement de Meurtres pour rédemption. 

« Il n’entendait plus que son souffle contre son cou. Elle passa ses bras autour de son dos. Le serra comme pour empêcher cet instant de s’évanouir. Ils restèrent ainsi attachés l’un à l’autre pour un long voyage. Echoués sur une plage baignée de lune. Sur une table en béton dans un sordide cachot. A l’ombre d’un mirador. Encerclés de barbelés. »

L’emprisonnement à différents niveaux

Se déroulant en milieu carcéral, ce roman interroge le lecteur sur les notions de liberté et d’emprisonnement, surtout avec la dimension de perpétuité dont est écrouée Marianne. Karine Giebel réussit avec brio à nous faire ressentir l’enfermement, à la fois physique et privateur, mais surtout psychologique. Les barbelés du remord sont parfois plus fort que les murs. Sous une plume magistrale, l’auteur nous fait passer ces sentiments douloureux et nous interroge aussi sur les notions de justice, sur l’horreur du milieu carcéral et sur les notions de bien et de mal. L’écriture se fait tantôt riche et poétique, d’un lyrisme flamboyant lorsque Marianne rêve de liberté, tantôt acérée, glaciale et morcelée lorsque sa rage prend le dessus. Chaque mot prend une dimension impressionnante et rend le texte aussi beau et poignant que destructeur et brutal. Ce livre est un petit bijou d’écriture, un coup de poignard en plein coeur. 

« Maintenant tu peux chialer. Personne ne te verra, personne ne t’entendra. Tu peux gémir sur ton sort. Sur ta connerie et tout le reste. C’est toujours de ma faute. Toujours. J’ai toujours tout fait de travers. Toujours détruit. Pourquoi j’ai torturé ce vieux? Pourquoi j’ai tiré sur ces flics? Pourquoi j’ai défiguré une gardienne? Pourquoi? Je suis quoi? »

Bref, Meurtres pour rédemption est certainement une de mes lectures les plus marquantes de 2016, sans doute la plus marquante d’ailleurs. Intense, froid, violent, hypnotisant, brutal, beau, dramatique, … lisez-le, si vous n’êtes pas effrayés par sa cruauté. Mais vous n’en ressortirez pas indemnes. 

« Marianne, vingt ans. Les miradors comme unique perspective, les barreaux pour seul horizon. Perpétuité pour cette meurtrière. Une vie entière à écouter les grilles s’ouvrir puis se refermer. Indomptable, incapable de maîtriser la violence qui est en elle, Marianne refuse de se soumettre, de se laisser briser par l’univers carcéral sans pitié où elle affronte la haine, les coups, les humiliations. Aucun espoir de fuir cet enfer. Ou seulement dans ses rêves les plus fous. Elle qui s’évade parfois, grâce à la drogue, aux livres, au bruit des trains. Grâce à l’amitié et à la passion qui l’atteignent en plein coeur de l’enfermement. Pourtant, un jour, l’inimaginable se produit. Une porte s’ouvre. On lui propose une libération… conditionnelle. « La liberté Marianne, tu dois en rêver chaque jour, chaque minute, non ? » Oui. Mais le prix à payer est terrifiant. Pour elle qui n’aspire qu’à la rédemption… »

(Couverture: ©Istockphoto)

Petit bonus, parce que j'adore cette chanson et qu'elle colle parfaitement à certains moments du livre, renforçant l'émotion et les frissons jusqu'aux larmes: