Le Livre de M

Peng Shepherd publiait en 2018 son premier roman, The Book of M, lauréat du Neukom Award en 2019. Traduit en français pour une parution dans la collection Albin Michel Imaginaire le 17 juin prochain Le Livre de M faisait parti de ces sorties annoncées en janvier que je ne pouvais pas louper. J’avais en effet très envie de découvrir ce roman post-apocalyptique et fantastique qui semble ne pas laisser les lecteurs indifférents depuis sa parution en VO. Alors, devez-vous attendre impatiemment sa sortie le 17 juin prochain? Voici mon avis…

« Les gens quand ils meurent ont si peur de perdre leur corps - mais à quoi ça sert un corps? A rien. Le corps ne se souvient de rien. De rien du tout. Ce n’est pas le corps qu’on devrait avoir peur de perdre.»

Une fin du monde aux airs de légende

Peng Shepherd nous offre une histoire qui s’inspire d’autres récits pour nous offrir quelque chose de nouveau et surprenant. Et dans le registre du post-apo, trouver encore des surprises quand on est très friand du genre, c’est très rare! Car oui, Le livre de M, c’est du post-apo épidémique mais ça n’a rien d’une histoire de virus, ça parle d’une forme de malédiction non explicable mais ça n’a rien de métaphysique, c’est aussi une histoire d’amour mais qui n’oublie pas la complexité de l’être humain… Le livre de M est étonnant à bien des égards, troublant aussi certainement. C’est une histoire allégorique qui plonge ses racines autant dans les mythologies indiennes que dans les légendes littéraires et qui, par métaphore, parle d’oubli et d’identité. Comment, dans cet Oubli, ne pas y lire les affres d’Alzheimer par exemple et en être bouleversé?! C’est un roman qui demande de ne pas s’accrocher à des réalités scientifiques, de ne pas espérer d’explication rationnelle, mais qui, aux esprits ouverts au fantastique va vendre du rêve dans le coeur d’un cauchemar. C’est aussi une histoire qui, sous ce couvert de fantastique, a beaucoup de logique et nous parle de l’humain et de l’importance des souvenirs comme il est rare de le lire. L’autrice nous rappelle avec finesse l’aspect essentiel de nos souvenir pour notre construction identitaire mais aussi le poids, parfois, du passé que l’on doit garder en mémoire. Alors oui, parfois il y a quelques clichés et deux ex machina, mais l’ensemble est si captivant et brillant qu’on fait l’impasse sans peine. 

« A y repenser, c’était presque risible. Ils étaient tous là, robes et vestes de smoking frémissant dans le vent léger de la montagne, le couvert magnifiquement mis, les bougies allumées avant le tiède crépuscule, se préparant à fêter le contraire précisément de ce qui allait se produire: l’union des souvenirs, la promesse de les faire durer longtemps après le départ des invités. Au lieu de quoi ils furent témoins, juste avant minuit, du débarquement de l’Oubli aux Etats-Unis.»

« Bleu » - « Cinquante-Deux ». Je n’oublierai pas

Il y a des livres qu’on lit et qu’on oublie, il y a des livres qu’on aimerait même oublier durant la lecture et il y a des livres qui ne pourront plus quitter votre esprit avant longtemps, sauf si votre mémoire se décide à les effacer. Le livre de M est de ceux-là pour moi. Il y a des histoires qui nous paraissent juste étranges et il y a des histoires fantastiques auxquelles le lecteur ne peut qu’adhérer tant elles nous emportent et nous enchantent. Le livre de M est de celles-là pour moi. Il y a des romans qui sont juste plaisants et il y a des romans qui nous envoûtent de la première à la dernière ligne et nous provoquent un coup de coeur. Le livre de M est de ceux-là pour moi. Je n’oublierai pas l’amour de Max et Ory, je n’oublierai pas les idées originales d’une jeune autrice, je n’oublierai pas non plus l’émotion que j’ai ressenti à la lecture, portée par la beauté de l’ensemble et bien sûr, je n’oublierai pas le cri d’amour qui est lancé pour les livres dans cette histoire. Je veux me souvenir du bonheur que j’ai eu à le lire, de cette envie de le faire durer sans parvenir vraiment à me stopper de le dévorer, de ces rêves la nuit où l’angoisse d’oublier m’a saisi et touché. Je n’oublierai pas Bleu, Cinquante-Deux, ni l’histoire de Surya et Chhaya, ni celle de Gajarajan Guruvayur Keshavan. 

« J’espère, Ory, que tu seras la dernière chose que j’oublierai. J’espère que je t’oublierai après avoir oublié où nous allons.»

En bref, Le livre de M m’a donné la possibilité de devenir le relai d’une histoire fabuleuse dont mon ombre s’est nourri tout comme mon coeur. C’est un roman brillant que je n’oublierai pas de sitôt. Du coup, pour répondre à ma question initiale: oui, notez bien le 17 juin pour ne pas le louper.

« Que seriez-vous prêt à sacrifier pour vous souvenir ?

Un jour, en Inde, un homme perd son ombre – un phénomène que la science échoue à expliquer. Il est le premier, mais bientôt on observe des milliers, des millions de cas similaires. Non contentes de perdre leur ombre, les victimes perdent peu à peu leurs souvenirs et peuvent devenir dangereuses.

En se cachant dans un hôtel abandonné au fond des bois, Max et son mari Ory ont échappé à la fin du monde tel qu’ils l’ont connu. Leur nouvelle vie semble presque normale, jusqu’au jour où l’ombre de Max disparaît… »

(Photographie de couverture: © Photo12/Alamy/All Canada Photos/Chris Harris)

[Lecture n°36/60 (pour l'échelon 4) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 8 de Ma lecturothèque]