Le point sur la méduse

Aux Imaginales cette année, j’ai fait un achat compulsif avec le livre inclassable (essai? roman? récit personnel?) Le point sur la méduse de Florent Kieffer, publié en 2018 aux éditons La Dragonne. Pourquoi cet achat irréfléchi? Parce que ça parle de méduse (je suis une méduse addict), de fin du monde et que ça avait l’air un peu fou (voir complètement barré). Je vous propose un avis qui s’inspire du style de l’auteur, accrochez vos ceintures, ça risque d’être perturbant!

« elle a pas vraiment d’yeux dommage elle sait pas comme elle est belle »

Premier point: un livre inclassable - les majuscules se sont enfuies - faisons le point sans ponctuation - mais c’est moi où ils nous insultent là - c’est génial - c’est WTF - bercé par le courant

jamais vous n’avez lu un livre comme celui-ci pas besoin que je vous connaisse pour affirmer ça jamais vous n’avez pu lire un livre comme ça il est trop atypique trop bizarre

vraiment bizarre

complètement barré

l’auteur se croit tout permis il oublie les règles de l’écriture pas un seul point pas même une majuscule j’hallucine c’est illisible je suis perturbée 

et pourtant je continue je comprends pas et je me mets même à adorer cette idée folle oui j’adore ça et je me dis que je dois l’appliquer pour vous parler du livre parce que c’est impossible de ne pas vous faire vivre cette expérience

une expérience presque scientifique c’est ça

philosophique aussi

et les idées qui semblent partir dans tous les sens c’est un livre méduse un livre emporté dans le courant un livre aux réflexions tentaculaires qui partent dans tous le sens mais qui n’en manquent pas 

de sens

oui c’est très perturbant de lire un écrit pareil je ne vous le fais pas dire surtout quand le langage est parfois très cru disons même grossier et Florent Kieffer il se croit tout permis et insulte le monde son éditeur ses lecteurs et pourtant y’a aussi un fond scientifique réel et des idées fortes et on se prend quelques gifles et le style fait en sorte que les gifles laissent une marque parce que ça a de l’impact de nous laisser dans un tel flux et de créer des pauses par des chapitres illusoires ça crée de l’impact et ça marque c’est génial

bizarrement génial

génial

d’ailleurs voilà un bel exemple

« coup de théâtre ce matin 31 juillet 2017 au petit-déjeuner à la radio qu’est-ce que j’apprends mort de Jeanne Moreau

 

chapitre 60

 

mort de Jeanne Moreau et au même moment 6e extinction animale de masse au même moment c’est-à-dire tout de suite c’est-à-dire maintenant

 

chapitre 61

 

maintenant

 

chapitre 62

 

maintenant là maintenant 6e extinction animale de masse je suis sur le cul pas vous je suis sur le cul 6e extinction animale de masse qu’ils disent comme ça tout tranquille 6e extinction animale de masse allez on passe au sport »

Deuxième point: les méduses pour toujours - on est dans la merde - c’est la fin - je crois que je ris et que je pleure aussi - je suis scotchée - méduseman est génial

oui mais y’a quoi dans ce livre pas de ponctuation pas de majuscule mais y’a quoi alors il y a des méduses plein d’espèces de méduses sur lesquels on apprend beaucoup même quand on les connait déjà un peu parce qu’on fait parti des gens bizarres qui les apprécie comme moi et comme un type génial au Japon qui chante avec une méduse sur la tête et lui je le connaissais pas mais je l’ai découvert ici et je vous partage une chanson en fin d’article parce que c’est trop bon à découvrir on découvre pas que des scientifiques japonais qui chantent avec un chapeau méduse on découvre aussi ce qu’elles font comment elles vivent et comment elles vont nous survivre et même qu’on s’ennuie pas parce que Florent Kieffer il sait parler sans t’emmerder ouais ouais

même que ça paraît super léger mais que c’est plus costaud que ça n’y paraît et que tu te rends pas compte que c’est costaud mais ça l’est ça marque c’est génial je l’ai déjà dit mais je dois insister

il a parié sur les méduses et je crois qu’il a raison c’est elle l’avenir ah ça tu t’y attendais pas hein mais c’est ça le monde de demain de la gelée partout et des tentacules qui piquent un peu beaucoup passionnément

mais il cause pas que des méduses parce que ça parle de nous de la 6e excitation animale de masse qu’on est assez stupides pour engendrer et de notre disparition nous les idiots qui savons qu’on va tout détruire sauf les méduses mais tout détruire alors on lit on rit du style mais on a aussi envie de pendre un peu c’est triste c’est mélancolique c’est la fin et ça colle une claque 

jamais tu as lu un livre comme ça et jamais tu as lu une critique aussi bizarre désolé pas désolé j’ai adoré cette expérience de lecture et d’écriture et j’espère que tu as réussi à comprendre ça

« vu qu’en plus d’éteindre toutes les espèces concurrentes on leur tient la porte virgule pas comme les dinosaures avec nous 

pourquoi on irait pas jusqu’au bout c’est-à-dire jusqu’à disparaître

leur laisser la place »

En bref, si vous êtes un tant soit peu intrigués à l’issue de cette chronique pas du tout habituelle (j’avoue ça m’a démangé à l’issue de la lecture) je vous conseille vivement de découvrir un véritable OLNI (objet littéraire non identifié) comme jamais je n’ai eu l’occasion d’en lire. C’est barré, c’est étonnant mais c’est aussi assez génial!

« Ceci est un livre « aquatique », une plongée verbale en milieu inconnu avec masque et tuba. L'auteur y parle de méduses et de fin du monde, alliant la rigueur de l'essai à la fantaisie du roman. Tout en faisant le tour des connaissances actuelles sur ces créatures fascinantes, il se propose de régler définitivement une question cruciale : quelle espèce dominera le monde après la nôtre ?

Drôle, poétique, plus que jamais urticant, Florent Kieffer porte la plume là où on ne l'attend pas. Enlevé, parfois cru, son cinquième livre bouscule nos certitudes dans une prose faussement relâchée qui nous fait voyager à travers les océans, de la Ligurie à la Floride, de l'Écosse au Japon, de l'échelle moléculaire à l'échelle cosmique. »

(Illustration de couverture: © Jac Vitali d’après la couverture de Kunstformen der Nature de Ernst Haeckel (1899))

(comme promis) Mister Immortal Jellyfish man - Scarlet medusa chorus: