Vert-de-lierre

En mai 2018, les éditions Noir d’Absinthe publiaient le roman Vert-de-lierre de Louise Le Bars. Vivement conseillé par plusieurs autrices et blogueuses dont j’apprécie les avis, c’était un livre que j’avais très envie de découvrir, d’autant plus après avoir adoré ma découverte de la plume de l’autrice dans Nous parlons depuis les ténèbres dont la nouvelle m’avait envoûtée. Je me suis donc jetée sur le titre avant la triste fermeture de la maison d’édition. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Un chant traverse la nuit comme un regret. Il vient de partout, pour m’envelopper dans sa trame légère et dire une lumière éteinte, un profond désespoir, enfoui sous les siècles, la poussière et la pierre impassible. Le chant d’une innocence murée dans sa douleur béante. »

Une ambiance formidable

Nous commençons le roman aux côtés d’un personnage fort peu agréable. Olivier, écrivain en panne, ne sait plus quoi écrire et nous raconte sa vaine recherche d’inspiration. La narration, d’abord déroutante, nous évoque rapidement les plus grands monuments de la littérature gothique. On y retrouve l’élégance feutrée et le mystère des grands classiques, mêlant la narration personnelle d’un personnage visiblement tourmenté, la chute progressive vers une forme de folie passionnée et la poésie envoûtante du danger imminent aussi tragique qu’attractif. Le tout dans des décors gothiques par excellence, du château hanté aux abords d’un petit village isolé, au manoir aux grilles fermées et au jardin luxuriant. Louise Le Bars maîtrise le genre à la perfection. Elle propose ici un récit multiple teinté de légendes et de malédictions locales. Mais elle nous donne à découvrir cet aspect de manière originale. En effet, au-delà de l’histoire initiale, celle de l’écrivain en recherche d’inspiration, l’autrice propose un récit enchâssé passionnant où se tisse véritablement l’histoire du Lierreux. Et l’envoûtement grandissant d’Olivier Moreau n’a d’égal que le nôtre pour cette légende qui s’écrit. L’ambiance y est maitrisée, juste, captivante et sous le lierre se cache bien des sujets d’importance. 

« Je courais contre tous ces masques et chimères sociales, consensuelles, hypocrites. Je me fondais dans cette peau de salamandre, de caméléon, d’oiseau. Portée par les ailes de l’exaltation, par les branches de ce je naissant, poussée plus avant entre les bras de cette Grande Jalouse, qui tolère que l’on construise loin d’elle, mais qui toujours se tient prête à recouvrer son influence.»

Sous le lierre

Je suis cependant restée plutôt mitigée pendant une large partie de ma lecture. Peut-être est-ce dû à mon non-attachement pour les personnages, notamment Olivier qui m’a été immédiatement antipathique. Mais cela vient sans doute plus du côté à la fois prévisible et frustrant du récit. La narration gothique est aussi fascinante qu’elle peut poser problème lorsque le lectorat sait pertinemment et rapidement la vérité, là où l’aveuglement du héros fait durer le récit et donne des situations qui paraissent peu logiques/crédibles, cassant cette magnifique ambiance où poésie et peur se mêlent en équilibre fragile. J’ai eu rapidement envie de secouer cet écrivain qui ne voyait rien de l’évidence et cela m’a un peu sorti de l’envoûtement initial. Fort heureusement, le récit est entrecoupé du second enchâssé, et celui-ci est nettement meilleur. Plus puissant et fascinant, il se fait à la fois histoire mystérieuse et terrifiante qu’outil de dénonciation. Que ce soit par l’inversion des rôles traditionnels du récit gothique ou par les épreuves traversées par le personnage, Louise Le Bars teinte son récit d’un féminisme puissant où les femmes sont tout autant que la nature de la légende, fascinantes, belles et dangereuses. Telle le lierre, l’héroïne est persistante et tenace, même quand le monde dans lequel elle évolue tente cruellement de lui rappeler la place qu’il laisse aux femmes. Formidable récit de métamorphose, où changer revêt tôt ou tard l’acceptation de sa nature profonde contre l’enfermement sous un masque social, Vert-de-lierre parle d’émancipation avec une subtilité raffinée remarquable. Cri puissant pour la liberté d’être, de vivre mais aussi d’aimer à sa guise, Vert-de-lierre surprend, non pas par son histoire beaucoup trop prévisible mais par les réflexions qu’il porte en son coeur. Et c’est sans doute cela, en plus de la poésie de la plume, qui sauve cette lecture pour moi.

En bref, Vert-de-lierre m’a évoqué mes lectures de Poe ou d’Eliza Parsons. Hommage au récit gothique classique dont il empreinte indéniablement les codes, la narration et la poésie envoûtante, ce roman offre une originalité dans son récit enchâssé où la légende éclaire des sujets de réflexion féministes puissants. Malheureusement fort prévisible, l’histoire n’est pas parvenue à m’emporter autant que je l’aurais souhaité. Mais sa plume et ses messages résonneront indéniablement longtemps en moi. Et rien que pour ça, la découverte valait la peine!

« Olivier Moreau, un auteur de romans policiers en manque d'inspiration, décide de retourner dans le village de sa grand-mère tout juste décédée afin d'y régler certains détails. Il y renoue avec les souvenirs de son enfance, et redécouvre un étrange personnage de conte populaire local surnommé le Vert-de-Lierre, sorte d'antique vampire végétal qui le fascinait enfant. Cet intérêt va déclencher des visions et cauchemars chez l'écrivain en mal d'imaginaire ainsi que la rencontre de deux femmes tout aussi intrigantes l'une que l'autre. Olivier découvrira que cette figure païenne ancestrale est bien plus qu'un simple conte bon à effrayer les enfants … »

(Illustration de couverture: © Marcela Bolívar)

[Diversité: ps gay]

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[Lecture n°13 (16/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 12 de Ma lecturothèque]