Trois battements, un silence

Le 7 avril dernier, les éditions Argyll ont publié un roman qui leur tenait très à cœur puisqu’il s’agit, à la fois, du retour de son autrice, Anne Fakhouri, à l’imaginaire mais aussi, malheureusement, de son dernier ouvrage suite à son décès en fin d’année 2022. Intitulé Trois battements, un silence, c’est un roman qui nous emmène à la frontière du monde des fées, au cœur d’une famille maudite par Mélusine…

« Marco n’a plus le temps et le flic pas l’esprit à ce qu’il lui explique que, derrière sa réalité, il y a tout un autre monde et que les gens comme Marco ont un pied sur chaque bord, jambes bien écartées, les couilles exposées aux coups. Parce qu’il y en a, du monde, dans l’entre-deux, et pas du beau. »

Trois battements, un coup

Je n’avais encore jamais lu Anne Fakhouri et ma première confrontation avec sa plume a été très vivifiante. D’une plume piquante, franche et assumée, l’autrice nous propulse au sein d’une famille sacrément dysfonctionnelle dont la malédiction n’est autre qu’une misogynie et une violence crasse qui se transmettent en héritage. Ce climat de misère et de peu de valeurs se ressent jusque dans le rythme des mots, qui claquent autant que les coups que subit Marco, dans un vocabulaire franc qui décape un peu et dynamite les habituels textes autour du merveilleux. Il y a une réelle personnalité dans la plume d’Anne Fakhouri. Son histoire emprunte aux codes et aux entités connues des contes et légendes du petit peuple, leur rendant un hommage sincère, mais vient aussi moderniser l’ensemble sans le trahir en apportant un peu de piquant bienvenu et en l’ancrant dans notre histoire. Alors oui, le début du roman décape sévère. Mais il se teinte déjà d’une beauté certaine, suspendue dans la violence comme une respiration.

« Et je vais te dire un truc que tu as jamais appris, parce que t’as pas eu la chance d’avoir l’oncle Ray et ses grandes vérités pour enfance: quand on refuse de rester à sa place, il ne nous reste que la fuite. Et pour les autres, la fuite, ça revient à dire qu’on n’est plus rien… Plus rien, peut-être… Mais, tu vois, Tess, mon entêtée, mon fantasme de ma vieille jeunesse…, le grand schéma, la responsabilité et le devoir, la sécurité, affronter les forces qui nous dépassent, parce qu’un abruti terrorisé par le chaos nous a dit de le faire, ça, c’est vraiment être rien et c’est le vrai néant. Et il n’y a rien de pire, non, rien de pire qu’être rien au service du néant.»

Trois battements, une respiration

Suivre Marco, c’est se confronter autant à la beauté du monde qu’à l’horreur de certains hommes, c’est se fasciner du merveilleux tout en le craignant, c’est se prendre des coups dans la gueule tout en s’extasiant de la beauté du crépuscule, c’est subir le poids d’une malédiction en héritage tout en se débattant pour s’en sortir malgré tout. Anne Fakhouri nous offre un roman étonnant qui démarre comme un récit initiatique teinté d’une lourde histoire, qui se poursuit comme une aventure survoltée marquée de combats et de révélations, avant d’entrer dans le registre de la légende et du conte dans une poésie incroyable. C’est un roman qui vibre de vie, qui propose des personnages touchants dans leurs défauts et qui, par instants, offre des instants d’une beauté incroyable, comme un temps suspendu dans le silence après trois battements. Son final, d’une beauté incroyable le rend mémorable et prend une dimension toute particulière par son statut de dernier ouvrage signé par l’autrice. Bien qu’imparfait, c’est un roman plein de sincérité et d’émerveillement même au milieu de la crasse, invitant finalement à apprécier la beauté de la nature et à oser rêver pour que le merveilleux puisse se maintenir dans notre monde de merde.

« Certaines choses renaissent avec le jour, comme le goût de la nuit ou le parfum de la terre.»

En bref, Trois battements, un silence est un roman vibrant, beau et cinglant à la fois, qui rend autant hommage au merveilleux qu’il fout un coup de pied dans la tronche. C’est un roman étonnant, rythmé selon le cœur de Marco, bercé de malédiction, d’amours tragiques et d’espoir dans la crasse. Une première découverte pour moi de la plume d’Anne Fakhouri dont je ne prendrai plaisir à lire le reste de l’œuvre. J'ai terminé cette lecture avec Springsteen dans les oreilles et une larme à l'œil: "We gotta get out while we're young. 'Cause tramps like us, baby, we were born to run"...

« Difficile d’échapper à son héritage familial quand, comme Marco Delusi, on grandit au sein d’une famille dysfonctionnelle dans laquelle être un homme signifie haïr les femmes. Seul son oncle Ray lui montre de l’affection et l’initie à la magie du monde et de celles et ceux qui le peuplent, habitants de l’ombre autant que de la lumière.
Après la mort de Ray, Marco vit à l’écart de la société. Celle-ci se rappelle toutefois à son bon souvenir quand son fils disparu huit ans plus tôt revient dans sa vie. Ce retour laisse alors surgir un passé qu’il préférait oublier.
Pour sauver son garçon, Marco sait qu’il lui faudra mettre fin à la malédiction qui pèse sur les hommes de sa famille et accorder son cœur au rythme des autres. Pourquoi pas à celui de Hannah, son premier amour…
Le temps, peut-être, de trois battements et d’un silence.»

(Illustration de couverture: © Xavier Colette)

> Content warning <

D’autres avis dans la blogosphère: Fantasy à la carte, Elbakin, …

[Lecture n°27 (29/84 points avec les bonus pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 11 de Ma lecturothèque]