Trancher

Je ne suis pas, apriori, attirée par des titres de littérature blanche, surtout sur des sujets aussi forts et difficiles que la violence conjugale. Mais en lisant le très émouvant billet de Syboulette sur un titre de la rentrée littéraire, j’ai eu envie de le découvrir moi aussi. Premier roman d’Amélie Cordonnier, Trancher a été publié chez Flammarion, et voici ce que j’en ai pensé…

" Plus une goutte d'énergie. Réservoir vide. A sec. Jamais tu n'aurais pu imaginer que ce que tu aimais tant, et que tu faisais sans doute le mieux, lire, deviendrait au-dessus de tes forces."

Percutant

Ce qui frappe, dès les premières pages, c’est le style littéraire de ce roman. Puissante, l’écriture nous happe immédiatement, nous accroche, nous possède. Amélie Cordonnier, pour ce premier roman, joue des mots comme de couteaux effilés. Les formulations sont tranchantes, tout comme le propos. La forme renforce le fond, nous prenant aux tripes et nous faisant pleinement ressentir les souffrances de notre narratrice en prise avec un compagnon qui la détruit et le dilemme qui se place face à elle. On dévore alors ce roman d’un seul souffle, sans prendre le temps de respirer, quitte à suffoquer nous aussi. Et même si, en 160 pages, le roman connaît quelques lenteurs, il nous est impossible de le reposer tant cette histoire s’ancre en nous.

" Tu vois bien qu'il n'y a pas dix mille options. PARTIR ou RESTER: pas d'autre possibilité. C'est entre ces deux mots qu'il faut choisir, trancher. Six lettres de rien du tout, même pas un Scrabble!"

Précis

Le sujet exploité est difficile à aborder, et souvent mal traité dans la littérature. Mais Amélie Cordonnier parvient à maîtriser la complexité psychologique avec beaucoup de finesse. Elle illustre à merveille la difficulté de trancher, malgré les souffrances vécues. Elle évoque parfaitement l’entourage qui s’agace de cette indécision, ou qui préfère détourner le regard. Elle démontre, entre les mots, que trancher n’est pas si facile, que beaucoup d’éléments entrent en ligne de compte comme les enfants, les souvenirs heureux et l’amour, évidemment. Car sans amour, il n’y a pas de choix cornélien. Le récit est d’une justesse folle d’un point de vue psychologique. Je regrette cependant que le sujet ne soit pas plus creusé que cela et je ressors avec une légère frustration. Mais le côté très intime qui se dégage de ce roman m’aura tout de même beaucoup touché tant j’ai saisi et compris les tiraillements de notre narratrice, basculée sans cesse de moments d’espoirs bienheureux en rechutes dévastatrices.

En bref, Trancher est un premier roman d’une grande justesse qui évoque, avec force, un sujet complexe à aborder mais ici parfaitement traité. Malgré un léger regret pour le manque d’approfondissement du récit, ce fut une belle découverte.

"Cela faisait des années qu’elle croyait Aurélien guéri de sa violence, des années que ses paroles lancées comme des couteaux n’avaient plus déchiré leur quotidien. Mais un matin de septembre, devant leurs enfants ahuris, il a rechuté : il l’a de nouveau insultée. Malgré lui, plaide-t-il. Pourra-t-elle encore supporter tout ça ? Elle va avoir quarante ans le 3 janvier. Elle se promet d’avoir décidé pour son anniversaire.
D’une plume alerte et imagée, Amélie Cordonnier met en scène une femme dans la tourmente et nous livre le roman d’un amour ravagé par les mots."

(Couverture: détail de © Félix Valloton, La Visite, tempera sur carton, 1899, Zurich, Kunsthaus -  Photo Josse / Leemage)

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