Sorcières: la puissance invaincue des femmes

Je ne lis (quasi-)jamais d’essai, mais celui de Mona Chollet, Sorcières: la puissance invaincue des femmes, paru en septembre 2018 chez les éditions La Découverte collection Zones m’avait interpellé à tel point que j’ai osé m’y plonger malgré toutes mes réticences (absurdes) à lire des livres de non-fiction. Lauréat du prix de l’essai Psychologies-Fnac 2019 et faisant l’unanimité côté critique, cet essai m’a-t-il ensorcelé moi aussi?

« La sorcière surgit au crépuscule, alors que tout semble perdu. Elle est celle qui parvient à trouver des réserves d’espoir au coeur du désespoir. »

Passionnant et vif

On dévore Sorcières comme on dévore un bon roman. Le propos est accessible, les faits sont vulgarisés et apportés avec un dynamisme et une vivacité d’esprit qui caractérisent l’autrice, et si c’est un essai féministe, il n’est pas pour autant moralisateur. Mona Chollet fait ici le lien entre les chasses aux sorcières et la misogynie contemporaine, retraçant l’histoire de la lutte des femmes pour mieux comprendre celles que nous sommes aujourd’hui. Elle évoque ainsi tout ce qui condamnait une « sorcière », à savoir l’indépendance, l’absence d’enfants, le savoir ou la vieillesse. Armée de nombreuses références à la fois savantes et popculture, Mona Chollet nous montre l’impact de ces chasses sur notre société actuelle et nous donne l’envie de sortir de ces cases dans laquelle on voudrait encore nous enfermer. C’est un essai qui, malgré sa grande richesse, nous apparaît très aisé à lire, tant le ton de Mona Chollet est proche du notre, moderne, drôle parfois et piquant souvent. Elle n’installe pas de distance avec le lecteur, bien au contraire, ce qui donne à son propos un côté très applicable puisqu’énoncé par quelqu’un de proche de nous. J’ai personnellement raffolé de ses punchlines à la fois très éclairantes et un brin caustiques qui permettent de mieux saisir les gros problèmes auxquels on doit faire face mais sans se laisser démonter. 

« Il y a de la place pour toutes les conceptions, me semble-t-il. J’ai seulement du mal à comprendre pourquoi celle à laquelle j’adhère est si peu admissible et pourquoi un consensus inentamable persiste autour de l’idée que, pour tous, réussir sa vie implique d’avoir une descendance. »

Une mine d’or

En parcourant cet essai, j’ai appris énormément de choses, à la fois sur l’histoire des femmes, mais aussi sur notre actualité. C’est une véritable mine d’or qu’il convient de garder près de soi pour y revenir de temps en temps et éclairer à nouveau sa route. La lecture aussi initié pour moi certaines remises en question, en me faisant réaliser que, même inconsciemment, je m’étais parfois enfermée dans des cases qui ne me convenaient pas et que l’histoire nous imposait. Pour d’autres aspects, elle m’a aussi donné le sentiment de ne pas être seule, d’être comprise. Je pense notamment au chapitre sur le choix de ne pas avoir d’enfants qui m’a fait beaucoup de bien à lire et qui m’a permis d’assumer ma conviction profonde que la maternité n’est pas faîte pour moi et que ce n’est pas une tare de l’affirmer. De même, le chapitre sur le vieillissement, sujet tabou pour moi, m’a permis de relativiser les choses et de repenser mon jugement. C’est un essai éclairant et utile qui pousse à la réflexion et initie le débat. Et si la dernière partie est un peu plus complexe à lire et à saisir, dans son ensemble Sorcières reste très abordable. J’en ressors grandie, plus sûre de moi et de mes positions, et c’est les cheveux partiellement blancs et ébouriffés et avec mes chats sur moi que je peux annoncer être fière d’être une sorcière. Merci Mona Chollet.

« Dans une certaine mesure, le jeunisme ambiant affecte les femmes et les hommes, et les seconds peuvent aussi souffrir des effets de l’âge. Mais le regard de la société sur les unes et sur les autres est très différent. Un homme n’est jamais disqualifié sur le plan amoureux et sexuel du fait de son âge et, lorsqu’il commence à présenter des signes de vieillissement, il ne suscite ni les mêmes regards apitoyés ni la même répulsion. »

En bref, Sorcières est un essai passionnant, d’une grande richesse mais très accessible, qui étudie le portrait de la sorcière (entendez femme indépendante) moderne et l’impact de leur massacre au XVIIème sur notre société contemporaine. Un essai que toutes les femmes devraient lire et avoir sous la main, et qui intéressera aussi les hommes et ouvrira à la réflexion et au débat.

« Qu’elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel orné de cristaux sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout. Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l’Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur ont-ils censurés, éliminés, réprimés ?

Ce livre en explore trois et examine ce qu’il en reste aujourd’hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante — puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant — puisque l’époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d’horreur.

Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever. »

(Photographie de couverture: Petite fille déguisée en sorcière vers 1865 © London Stereoscopic company / Hulton archive / Getty images)

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