Se méfier de l’eau qui dort

Le 4 juin sortait en librairie le nouveau roman de Julia Richard, Se méfier de l’eau qui dort, aux éditions de l’Homme sans Nom dans un superbe écrin avec un joli jaspage et même des illustrations intérieures de François-Xavier Pavion (qui a réalisé aussi la couverture) et de Siteb. Ayant franchement adoré tous les romans de l’autrice, il était évident pour moi de me plonger dans celui-ci et voici ce que j’en ai pensé…

« On dit qu’il existe une rivière, une merveilleuse rivière, une amante impossible et vénéneuse capable du pire, qu’il ne faut surtout pas réveiller. Rien ne serait plus terrible qu’un flot endormi tiré d’un sommeil profond. Il parait qu’il faut toujours se méfier de l’eau qui dort.»

Julia Richard nous propose de plonger ici au cœur d’un village lorrain qui, sous son allure de normalité, va vivre des évènements bien étranges. Miracles ? Malédictions ? L’autrice nous propose de découvrir tout cela avec une héroïne, Astrid, orpheline s’occupant de sa petite sœur et de son Grand papy très vieillissant mais doté d’un étrange pouvoir de prédiction. Aux côtés d’Astrid, Julia Richard nous enseigne la dignité, le courage, la bienveillance et la force de caractère quand, toute jeune soit-elle, elle porte le foyer à bouts de bras et subit, en sus, une réputation malvenue de sorcière pour les soins à base de plantes qu’elle propose. C’est dans son sillage que nous plongeons au cœur des évènements étranges qui vont bouleverser la vie de ce petit village et encore plus les esprits de ses habitants. Il y a dans ce récit une tension grandissante, maîtrisée parfaitement par son autrice qui distille au fur et à mesure les éléments qui basculent l’histoire dans le fantastique. Difficile de lâcher l’ouvrage qui nous emporte dans ses flots de plus en plus vifs, et nous glace le sang comme une rivière de montagne à la sortie de l’hiver. Car le décor a beau être idyllique, l’âme humaine apporte sa part de noirceur à cette histoire. Julia Richard nous dresse le portrait d’un panel de personnages réussi, à la fois foule anonyme aux comportements classiques, de l’exaltation à la panique, et à la fois identités individuelles plus développées et nuancées, qui surprennent et illustrent le meilleur comme le pire de l’humanité. J’ai cependant un petit regret personnel à l’issue de cette lecture. Je crois m’être trop habituée au sadisme machiavélique de l’autrice et j’ai trouvé ce roman très (trop?) sage. Cela peut sans doute s’expliquer en partie par le fait qu’il est normalement destiné au public young-adult. Si la noirceur et certains événements sordides sont bel et bien présents, il manque peut-être un cran dans le malaise dans l’ambiance générale pour que le roman devienne pour moi un coup de cœur.

« On est les sorcières du village, mais on est avant tout des femmes qui s'épaulent dans les duretés du quotidien.»

Ce roman c’est aussi et surtout un récit sur le pouvoir des mots. Ceux qui construisent notre identité et notre histoire, ceux des rumeurs qui blessent et apportent le malheur, ceux qui parlent d’amour puissant et infini, ceux poétiques que l’on emploie sans plus y faire attention… Julia Richard nous offre un récit qui évoque tout cela avec beaucoup de force et de subtilité. Elle utilise par exemple le patois lorrain pour revenir à ses racines, donner une identité et un caractère à ce village et à ses habitants. Une utilisation réussie qui ne freine pas à la lecture mais immerge sans jamais bloquer sur la compréhension. Elle choisit finement chaque mot et qualificatif qui prennent dans ce récit une importance capitale. Elle parle de sentiments d’amour sororal par l’utilisation de formulation d’une beauté remarquable qui suspendent un peu le temps. Un joli travail d’écriture qui n’alourdit jamais le rythme de la lecture et apporte toute sa saveur au roman. C’est aussi un récit qui traite, en filigranes, de la place et de la condition des femmes. Avec cette héroïne, toute jeune fille, soumise en plus à un certain rejet lié à des rumeurs, c’est le portrait d’une époque qui laissait bien peu de chances à l’autonomie et à l’indépendance pour les femmes (et qui conserve un vilain écho aujourd’hui). Et par les rencontres qu’elle fait, c’est aussi une critique sévère des violences faites aux femmes et une ode à leur liberté et à leur émancipation qui se glisse dans les pages de ce récit. On comprend pourquoi le Pop women Festival l’a mis dans sa sélection. Julia Richard aborde la place des femmes, mais sans le faire de manière frontale dans ce roman qui, décidément, cache en ses eaux bien des forces cachées.

« La magie a toujours un coût. L’amour non plus est jamais gratuit.»

En bref, Se méfier de l’eau qui dort est un roman très réussi qui nous envoûte et nous emporte sans faillir dans son récit à la noirceur grandissante. Un récit sur le pouvoir puissant des mots, sur la place des femmes aussi et sur ce dont est capable de mieux, comme de pire, l’être humain. Peut-être un peu trop sage quand on est habitué à l’autrice, mais néanmoins très bon.

« « Du temps, de la vie, de l’amour et de l’impardonnable. »

Grand-papy prétend que d’étranges phénomènes se sont produits il y a cinquante ans et qu’une fois encore, le pire est à venir. Mais Grand-papy, il perd la tête ces derniers temps et, plus qu’une magie qui se réveille, ce qui me préoccupe surtout, c’est le poids des responsabilités.

Schmutzheim est un petit village paisible au fin fond d’une vallée reculée. Astrid, dix-sept ans, y prend soin de son aïeul à la santé déclinante et de sa petite sœur Ingrid. Parvenant difficilement à joindre les deux bouts, les filles complètent leur activité fermière avec le commerce de remèdes artisanaux, ce qui leur vaut la réputation de sorcières et la méfiance de leurs voisins. Et alors que d'obscurs miracles se multiplient autour d’elles, combien de temps encore avant qu'elles ne soient désignées coupables ? »

(Illustration de couverture : © François-Xavier Pavion)

- Livre reçu en service de presse. Publication non rémunérée. Merci aux éditeurs. - 

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[Lecture n°18 (23/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 13 de Ma lecturothèque]