Saint Luigi. Comment répondre à la violence du capitalisme?

Sorti début du mois, Saint Luigi: comment répondre à la violence du capitalisme? est le nouvel essai de Nicolas Framont (auteur, entre autres, de Parasites ou Vous ne détestez pas lundi, vous détestez la domination au travail). Publié aux éditions Les liens qui libèrent, avec Frustration magazine, cet ouvrage part de l’affaire Luigi Magione pour questionner le recours à la violence face à celle que nous fait subir le capitalisme. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Le meurtrier de Brian Thompson lui a volé plusieurs décennies de vie, les a volées à ses enfants, à sa femme, à ses amis… et pour cela, Luigi Mangione, principal suspect de ce crime, pourrait être condamné à la peine de mort. Mais Thompson en avait volé des milliers, de vies, au nom du profit, et il était même récompensé de millions de dollars et de l’admiration de ses pairs pour cela. Il semble bien que tous les meurtres ne se valent pas dans nos sociétés régies par le capitalisme et l’impérialisme.»

J’avais très hâte de lire cet essai à sa sortie. J’aime beaucoup les ouvrages de Nicolas Framont pour sa franchise, ses valeurs et sa critique générale du système et des dominants. J’étais aussi très curieuse de le voir aborder cette question de la violence via l’affaire de Luigi Magione. Luigi Mangione est actuellement principal suspect du meurtre d’un PDG d’assurances privées aux USA, connu pour ses profits énormes au mépris de la santé et de la vie des assurés dont les soins sont de moins en moins remboursés. Partant de cet assassinat, Nicolas Framont pointe du doigt la violence du capitalisme, dans le domaine de la santé entre autres. Il démontre, par des exemples glaçants, comment les classes dominantes, au nom d’un saint profit, sont responsables de la mort des autres, écrasant les classes dominées par des décisions politiques gangrenées par les lobbys et par le pouvoir de l’argent au détriment de la vie. Il explique avec brio le décalage entre leurs décisions et les conséquences qui sont lissées, avec des victimes déshumanisées sous l’égide des chiffres. L’essai est très vite révoltant et donne envie de tout cramer. Parce que cette violence n’est pas seulement aux USA, bien que leur système de santé soit un bel exemple de l’enfer, mais s’exerce partout, y compris chez nous. Des pauses peuvent s’avérer nécessaires à la lecture pour ne pas se mettre à hurler et monter des barricades. Mais c’est aussi un essai important, qui met les points sur les « i » d’inégalité et d’injustice.

« La violence s’impose à nous comme moyen parce que la société est violente: mûrir, c’est accepter cette réalité.»

Partant de ce constat, de quel recours disposons-nous? Le pacifisme, les discussions, les manifestations organisées, ou encore la professionnalisation des luttes, sont remis en question par l’auteur, démontrant que, malheureusement, l’histoire nous prouve que ces moyens de résistance semblent vains. Il questionne la violence comme restant l’unique levier restant, même s’il ne s’agit que de la menace de cette dernière. Bien qu’il insiste sur l’horreur d’un assassinat, il interroge aussi la valeur d’une vie humaine en fonction de sa place dans la société, et de l’aura qu’a eu celui-ci pour beaucoup de gens. Parce qu’il s’agit d’un meurtre hors de l’influence d’un groupe ou d’une organisation. Parce que ce meurtrier n’a fait aucune autre victime, qu’il a agi comme un vengeur hors-la-loi, il prend aujourd’hui le rôle de l’icône, l’image de la possibilité d’un basculement.

« La lutte des classes est une lutte des corps. Les corps qui profitent et les corps qui souffrent. Les corps que l’on soigne et les corps que l’on délaisse. Les corps que l’on exploite mais aussi, parfois, les corps contre lesquels on se rebelle et à qui l’on s’en prend, tels le vandalisme envers leurs voitures et leurs résidences, les émeutes contre leurs quartiers mais aussi leurs propres corps que l’on assassine: des rois, des reines, des seigneurs et des patrons ont pu connaître ce destin, cette terrible vengeance de leurs sujets. L’affaire Luigi Mangione nous projette tous contre cette réalité viscérale: elle la rend incontournable.»

C’est tout l’effet sociétal de cet assassinat que Nicolas Framont met ici brillamment en avant. Il n’oublie pas aussi que l’image même du suspect aide à la sympathie, puisqu’il est blanc, qu’il semble souriant, considéré même comme attirant… là aussi, les inégalités restent. L’essai est évidemment orienté. Nicolas Framont ne cache pas ses orientations politiques, son opinion personnelle. On n’est donc pas sur une analyse neutre (ce n’est d’ailleurs pas pour ça qu’on lit l’auteur). Mais il n’empêche que les questions posées, et notamment celle de l’extrait suivant, sont amenées par les faits constatés, et nous amènent à une véritable réflexion nécessaire sur ce qui reste à notre disposition pour résister et renverser la violence du capitalisme.

« Pensez-vous sincèrement qu’il va être possible de survivre aux décennies à venir sans recourir à la désobéissance civile et à une réévaluation à la hausse de la radicalité de nos réponses individuelles et collectives?»

En bref, Saint Luigi est un essai engagé et révoltant qui nous confronte concrètement à la violence exercée par les classes dominantes et le capitalisme. C’est aussi une analyse intéressante des moyens de lutte et de leur efficacité et de la pertinence du recours à la violence face à celle que nous subissons. Attention, on en ressort sincèrement en colère avec l’envie de tout cramer, mais c’est aussi un essai passionnant et important à lire pour les réflexions qu’il propose et qui sont plus que jamais nécessaires.

« Peut-on faire de Luigi Mangione, l’auteur du meurtre du PDG de United Healthcare, un héros ? Alors qu’il se voit érigé en icône de la culture populaire, voici un moment révélateur de dynamiques à l’œuvre : si la bourgeoisie n’a jamais autant régné, elle n’a cependant jamais suscité autant de haine. »

(Illustration de couverture : © Léa Hamadi)

- Livre reçu en service de presse. Publication non rémunérée. Merci aux éditeurs. -

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