Les rêves qui nous restent

Publié en français en 2021 chez Asphalte et cette année en poche chez Pocket Imaginaire, Les rêves qui nous restent est un polar cyberpunk de l’auteur chilien Boris Quercia. Court roman de 200 pages, il a retenu mon attention pour la nationalité de son auteur (j’apprécie les univers dystopiques sud-américain) et les compliments que j’ai vu passé à son propos, notamment sur son univers. Voici ce que j’en ai pensé…

[NB : Merci à Pocket pour la réception surprise.]

« Tous les regards sont rivés sur les écrans, tous contemplent comment un homme peut perdre ses doigts sur un plateau de télévision, et nous, ce qui reste de notre dignité, si tant est qu’il nous en reste encore.»

Un univers qui se tient en 200 pages

Boris Quercia nous offre un court roman qui ne perd pas de temps en termes d’intrigue mais réussit néanmoins le tour de force de nous proposer un univers dystopique complet. Certes, l’action reste limitée à une cité et sa banlieue mais elle a valeur de monde complet pour ses protagonistes, y compris pour le lectorat. En effet , la zoné étant entourée d’un désert inhospitalier et en feu, on a presque l’impression qu’il s’agit du seul îlot d’humanité encore en vie et on s’en contente aisément. Sans jamais entré dans les détails, l’auteur parvient à nous tisser une organisation sociale, dotée d’un passé et de logiques de fonctionnement assez précises pour offrir un décor solide à son intrigue. Inégalités sociales, effondrement climatique et économique, restrictions, dépendances aux machines pour la vie quotidienne, … l’univers de Boris Quercia coche les cases des dystopies cyberpunk classiques mais reste néanmoins agréable à lire et doté de sa propre personnalité par sons style d’écriture. C’est grâce à ce monde bien construit, sans qu’il n’ait été nécessaire de le combler de détails à outrance, que l’auteur parvient non seulement à proposer une intrigue policière mais surtout la fresque d’un effondrement social total en toile de fond.

« Je me demande souvent pourquoi je continue à vivre, alors j’allume une cigarette et ça me calme. Et ça me donne une réponse: pour fumer. Je suis venu au monde pour fumer. Fumer une cigarette et regarder la planète flamber de tous côtés.»

La chute d’un monde, la naissance d’une conscience

L’enquête policière qui se déroule dans ces petites 200 pages est sous haute tension. Naviguant entre son désespoir chronique et son besoin de s’en sortir, Natalio est le profil de l’enquêteur désabusé à l’image du monde dans lequel il vit. Il est l’illustration de la chute à lui tout seul. Cette enquête est presque prétexte à parcourir la ville et la banlieue, à saisir en impression ce monde que le chaos menace de plus en plus au fil des pages. Mais elle est aussi le support d’une réflexion entre machine et conscience à travers son androïde qui l’accompagne partout et présente quelques anomalies. Boris Quercia ne révolutionne pas la question mais explore néanmoins joliment ce qui définit une existence. La montée en conscience des machines, le libre-arbitre, l’accès aux pensées et à l’autonomie jalonnent en toile de fond l’intrigue dans un style philosophique qui détonne dans la crasse ambiante de ce monde. J’ai beau avoir lu beaucoup d’histoires sur le même modèle, cela reste bien fait et toujours plaisant de questionner l’humanité et l’existence, en apportant en plus un petit côté moral et bioéthique aux avancées scientifiques.

En bref, bien que peu original dans le genre du cyberpunk, Les rêves qui nous restent est un court roman efficace qui parvient à nous offrir une intrigue sous tension et une construction d’univers efficace. Proposant la chute d’une société en toile de fond, ainsi qu’une réflexion sur ce qui fait une existence en développant le rapport machine et conscience, c’est un roman intéressant qui propose, malgré sa petite taille, une belle richesse de lecture.

« Dans cette mégapole tentaculaire qu’est la City, certains n’hésitent pas à vendre à des sociétés privées la seule chose qui leur reste : leurs rêves. Mais quand un incident se produit au sein d’un entrepôt de dormeurs, les dirigeants veulent régler au plus vite l’affaire avant qu’elle ne s’ébruite. Natalio, flic de classe 5, la plus méprisée car chargée d’éliminer discrètement les dissidents, est leur meilleure option. Ce dernier accepte toujours les missions à la limite de la légalité, par appât du gain autant que par désoeuvrement. Fauché, Natalio a d’ailleurs dû remplacer son électroquant, un androïde qui le suit comme son ombre, par un modèle ancien, acheté au rabais chez un soldeur. Mais la machine a un on-ne-sait-quoi d’inquiétant, des défaillances et des anomalies sur lesquelles son propriétaire n’a pas le temps de s’arrêter. Pour le pire… ?»

(Illustration de couverture : © Julien Rico Jr)

> Content warning <

D’autres avis dans la blogosphère: Stelphique a adoré, Les lectures du maki a passé un bon moment, …

[Lecture n°39 (43/84 points avec les bonus pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 11 de Ma lecturothèque]