Les Heures rouges

Parmi tous les titres de la Rentrée Littéraire 2018, Les Heures rouges de Leni Zumas m’a tapé dans l’oeil grâce à la très bonne critique publiée sur le blog d’Uranie. Publié aux éditions Les Presses de la Cité, il s’agit d’un livre d’anticipation très réaliste, premier roman de l’autrice traduit à l’étranger. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Elle ne parvenait pas à croire que l’amendement sur l’identité de la personne était devenu une réalité alors que tant de citoyens s’y opposaient. Ce qui (l’incrédulité) était stupide. Elle savait - en tant que professeure d’histoire, c’était son métier - combien d’horreurs étaient légitimées au grand jour, contre la volonté de la plupart des gens. »

Quand l’anticipation est crédible et glaçante

Dans son roman chorale, Leni Zumas nous présente 4 femmes, sous le titre de leur fonction (choix extrêmement judicieux vu le propos), l’épouse (Susan), la guérisseuse (Gin), la fille (Mattie) et la biographe (Ro), qui, dans un futur très proche suivent leur destinée dans une Amérique qui anéantit les droits de femmes. La cour suprême a en effet ratifié un amendement interdisant l’IVG ainsi qu’une loi empêchant les femmes seules d’adopter, car c’est bien connu, un enfant a besoin d’un père et d’une mère pour être un bon citoyen… (je lève un panneau ironie pour tous les Sheldon de ce monde!). Et même si nous n’en sommes pas là, les dernières actualités nous poussent malheureusement à imaginer ce futur tout à fait envisageable. Et ça rend la situation glaçante. Ce roman aborde donc des sujets forts sur la place de la femme, ses droits et son statut dans la société, mais sans pour autant le faire avec forcing. L’autrice laisse passer de nombreuses informations entre les lignes, nous pousse inconsciemment à la réflexion et c’est fait avec brio. Elle ne tombe pas non plus dans le travers des stéréotypes de personnages trop clivés. Tous ont des côtés positifs et négatifs qui les rendent réalistes et permettent de mettre en avant divers points de vue. Bien qu’elle rappelle très justement, par les faits cités, les dangers de telles interdictions. On apprécie en tout cas la justesse du propos et l'incitation à réfléchir sur le sujet avant qu'il ne soit trop tard.

« A la maison: détacher, dénouer, soulever, porter, poser. 

Déballer, ranger. 

Effilocher les Ficello. 

Les distribuer. Installer Bex et John devant un dessin animé acceptable.

Au premier, l’épouse ferme la porte de l’atelier de couture. Elle s’assied en tailleur sur le lit. Elle fixe le mur blanc abîmé. »

Une narration percutante

Le style de l’autrice est assez perturbant de prime abord. Assez clinique, parfois très métaphorique, il varie beaucoup de chapitres en chapitres, s’adaptant à la personnalité de la femme mise en avant. Mais très vite, on s’habitue non seulement à cette narration perturbante mais on constate aussi que le style dit parfois plus que les mots eux-mêmes. Le récit s’écrit alors autant dans le fond que dans la forme et rend l’immersion percutante. Les énumérations de tâches ménagères chez l’épouse sont l’exemple le plus évident, rendant la lecture mécanique, hachée, sans vie, tout comme l’existence de Susan. Au final, le livre se lit très vite tant on se passionne pour les histoires de ces 4 femmes. Mon coup de coeur va pour Gin, la guérisseuse, dont les chapitres, au départ, étaient ceux qui me perturbaient le plus, mais dont l’histoire m’a beaucoup touché finalement. J’ai également aimé Ro, malgré ses failles. Le seul élément de narration qui m’a quelque peu gêné sur la longueur, ce sont les extraits du livre écrit par la biographe entre chaque chapitre, qui, s’ils éclairent l’histoire et évoquent un personnage intéressant, m’ont paru très froid et au final un peu lassants. 

En bref, Les Heures rouges est un excellent roman qui, s’il reste du registre de l’anticipation, est aussi malheureusement très ancré dans notre réalité. Passionnant, extrêmement bien écrit, il fait partie des pépites de cette rentre littéraire.

« États-Unis, demain. Avortement interdit, adoption et PMA pour les femmes seules sur le point de l’être aussi. Non loin de Salem, Oregon, dans un petit village de pêcheurs, cinq femmes voient leur destin se lier à l’aube de cette nouvelle ère. Ro, professeure célibataire de quarante-deux ans, tente de concevoir un enfant et d’écrire la biographie d’Eivør, exploratrice islandaise du xixe. Des enfants, Susan en a, mais elle est lasse de sa vie de mère au foyer – de son renoncement à une carrière d’avocate, des jours qui passent et se ressemblent. Mattie, la meilleure élève de Ro, n’a pas peur de l’avenir : elle sera scientifique. Par curiosité, elle se laisse déshabiller à l’arrière d’une voiture... Et Gin. Gin la guérisseuse, Gin au passé meurtri, Gin la marginale à laquelle les hommes font un procès en sorcellerie parce qu’elle a voulu aider les femmes. »

(Illustration de couverture: © Lauren Harms)

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