Le Chien du forgeron

Second roman de 2021 de Camille Leboulanger (après Ru aux éditions L’Atalante), Le Chien du forgeron est paru en août chez la nouvelle maison d’édition Argyll. S’intéressant à la légende de Cuchulainn, l’auteur se fait conteur et nous propose d’égratigner les mythes. C’est un livre qui me faisait très envie et dont les premières critiques ont toutes été très positives. Voici donc ce que j’en ai pensé…

« Ceux qui vivent avec une lame, dont l’existence n’est qu’une danse sur le fil de son tranchant, ne voient souvent pas plus loin que sa pointe. Devant la menace, devant l’inconnu et l’inexplicable, les guerriers avaient réagi comme des guerriers. Les hommes ne font jamais que ce qu’ils ont appris à faire. »

Le héros dans la boue

Lire Le Chien du forgeron, c’est avoir le sentiment d’être au cœur de la nuit dans une taverne à écouter un récit, régulièrement interrompu par des gorgées de bière, au coin du feu, captivés malgré les yeux ensommeillés. Camille Leboulanger revêt sa tenue de conteur avec ce récit et nous propose une immersion dans la peau de celles et ceux qui vont recevoir ses mots. Mais non content de nous mettre à l’aise dans une position que nous connaissons bien, nous les lectrices et lecteurs, il vient aussi nous bousculer un peu les idées. Car si tout à l’apparence d’un récit mythique, d’un conte légendaire, l’histoire du Chien du forgeron se retrouve éclairée d’un point de vue très moderne qui en souligne les failles. Car derrière toute légende héroïque masculine, il y a des femmes oubliées/victimes/en colère…, il y a des êtres laissés de côté, écrasés dans la boue et il y a des aspects puants nettement moins reluisants que les hauts faits chantés aux quatre vents. L’auteur égratigne la figure du héros, souligne les manques de l’histoire, illustre parfaitement les problèmes de notre présent à la lumière d’une légende celte très ancienne. Et c’est ce qui rend ce roman parfaitement passionnant et volontairement piquant. Un rappel nécessaire de l’horreur de la loi des hommes et du pouvoir à double tranchant de la force et de la violence.

« Le désir d’Emer de ne rien avoir à faire avec le Chien était au moins aussi fort que le sien de la posséder. Et pourtant, l’un devait s’accomplir et l’autre pas. Pour quelle raison ? Je vous le dis : la loi des hommes. Rien de plus. »

Le mythe de la virilité

Ce que souligne particulièrement bien ce roman, c’est l’absurdité du mythe de la virilité. Sous couvert du pouvoir et de l’importance associé à ce concept, nombreux sont les personnages de ce récit à se retrouver coincé dans un archétype qui ne rend personne heureux, et eux encore moins. Le Chien, lui-même, est bloqué dans un rôle que son environnement lui impose et qui lui apportera plus de malheur que de bonheur, si ce n’est sa gloire posthume et mensongère. Les femmes, évidemment, sont le plus à plaindre dans cette histoire puisque l’auteur souligne parfaitement leur position inextricable malgré des caractères forts et des rages intérieures terribles. Notons que plusieurs scènes de violences faîtes aux femmes sont citées, mais apprécions le fait qu’elles ne soient pas décrites du tout, évitant ainsi un voyeurisme toujours abject. Merci à l’auteur pour ça ! Dans ce roman, c’est tout le mythe de la virilité qui est trainé dans la boue avec force dans ce roman, offrant ainsi un texte très actuel et engagé qui m’a énormément plu. Qu’il est bon d’user des codes classiques pour porter ses messages ! Et le tout, en conservant le plaisir simple de la lecture, grâce à cette figure de conteur qui va décidément très bien à son auteur…

« Un jour, peut-être, il y aura des conteurs de conteurs et on leur accordera autant d’honneur que l’on en accorde aux guerriers. Un jour, peut-être, les hommes reconnaîtront-ils les morts des histoires, les notes des chants et les pas de danse comme des denrées aussi indispensables que le pain ou la bière. »

En bref, Le Chien du forgeron est une excellente lecture. Outre l’immersion immédiate et le talent de conteur de son auteur, c’est un roman qui dénonce les failles des récits légendaires et égratigne joyeusement la figure du héros plein de virilité. Un regard assurément moderne sur un récit celte ancien qui le rend passionnant, un peu piquant et foncièrement engagé.

« Approchez, approchez ! Alors que tombe la nuit froide, laissez-moi vous divertir avec l’histoire de Cuchulainn, celui que l’on nomme le Chien du Forgeron ; celui qui s’est rendu dans l’Autre Monde plus de fois qu’on ne peut le compter sur les doigts d’une main, celui qui a repoussé à lui seul l’armée du Connacht et accompli trop d’exploits pour qu’on les dénombre tous.

Certains pensent sans doute déjà tout connaître du Chien, mais l’histoire que je m’apprête à vous narrer n’est pas celle que chantent les bardes. Elle n’est pas celle que l’on se raconte l’hiver au coin du feu. J’en vois parmi vous qui chuchotent, qui hésitent, qui pensent que je cherche à écorner l’image d’un grand homme. Pourtant, vous entendrez ce soir la véritable histoire du Chien. L’histoire derrière la légende. L’homme derrière le mythe.

Approchez, approchez ! Venez écouter le dernier récit d’un homme qui parle trop… »

(Illustration de couverture : Xavier Collette)

D’autres avis sur la blogosphère : Au pays des cave trolls, Chroniques du chroniqueur, Lorkhan, Bibliocosme, Syndrome Quickson, La bibliothèque derrière le fauteuil…

[Diversité : ps albinos, ps asexuel.le]

> Content warning <

* Lecture pour le #PAC Pumpkin Autumn Challenge 2021 de Guimause: Menu Automne des mystères - catégorie En avant Yvette Tempête *