Idiss

Le 31 mars, les éditions Rue de Sèvres publiaient l’adaptation en bande dessinée du livre Idiss de Robert Badinter, sorti en 2018 aux éditions Fayard. La BD éponyme est écrite par Richard Malka et illustrée par Fred Bernard. Elle reprend le récit intime de la vie d’Idiss, grand-mère maternelle de Robert Badinter, de Bessarabie à Paris de la fin du XIXème siècle  jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Et voici ce que j’en ai pensé…

[NB: Je remercie les éditions Rue de Sèvres pour cette réception surprise.]

Extrait:

« Les hommes passent leur temps à bavarder sur de grandes idées pour fuir la dureté quotidienne... Et nous, on doit l'assumer, Chifra...»

Une fresque familiale au coeur de la grande Histoire

Robert Badinter le soulignait lui-même à la sortie du livre, Idiss n’est pas un livre d’histoire ni même une analyse des conditions des immigrés juifs de la première moitié du XXème siècle, mais bien le récit d’une vie, celle de sa grand-mère, à qui il rend hommage. Indéniablement intime, ce récit se veut aussi universel et illustre non seulement le parcours d’un peuple juif que l’antisémitisme a poursuivi à travers l’Europe, mais aussi une histoire familiale faite d’amour, d’enfants, de deuils et de transmissions. Pour l’universalité, Robert Badinter a d’ailleurs demandé à Fred Bernard de ne pas s’appuyer sur les photos de sa famille pour créer les personnages de la BD, empêchant ainsi un calque du réel en dessin et une plus grande possibilité de création et, pour les lectrices et lecteurs, d’identification. La vie d’Idiss est une vie simple et pourtant pleine de péripéties, c’est celle d’une femme forte, d’une mère courageuse, mais aussi d’une âme malmené par les obstacles de la vie. Bien que ce ne soit pas le sujet central traité par les auteurs, l’Histoire en toile de fond se fait aussi présente, imputant de la liberté dans la vie d’Idiss et des siens qui vivent la pauvreté et les pogroms de Russie, puis la montée de l’antisémitisme à l’aube de la Seconde guerre mondiale en France. Ce second aspect est d’ailleurs même partiellement illustré, ponctuant ainsi la vie quotidienne de la famille. C’est le récit de vies humaines face à la vague de l’Histoire, le récit d’identités sorties de la masse. La BD n’insiste pas sur les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale que ne verra pas Idiss. Celles-ci ne sont que citées en conclusion mais sont pourtant déjà frappantes.

Un style reconnaissable

Graphiquement, on adhère ou pas au style de Fred Bernard qui a une esthétique bien à lui, notamment pour ce qui est des visages et expressions. J’avoue ne pas être particulièrement conquise d’un point de vue tout à fait subjectif. Il y a cependant un grand travail dans le détail et les décors. Ceux-ci, passant du shtetel de bois et de neige à Paris, foisonnant de personnes et d’enseignes, retranscrivent magnifiquement le choc qu’ont du ressentir les personnages lors de leur immigration. L’illustration de la montée de l’antisémitisme est aussi très juste, amenant subtilement et discrètement l’horreur sans qu’aucun mot ne soit nécessaire pour l’appuyer. C’est également une œuvre très lumineuse, aux couleurs crayonnées claires, pleines de douceur et pleines de vie. Un bel hommage pour cette grand-mère et les siens qui reprennent leur existence dans ces dessins qui retranscrivent le monde passé. Je ne peux malheureusement pas juger de la qualité de la BD en tant qu’adaptation puisque je n’ai pas lu le livre de Robert Badinter. Mais je suis heureuse d’avoir découvert ce récit grâce à nouveau format.

En bref, la version bande-dessinée du récit Idiss de Robert Badinter est une œuvre à la fois intime et universelle qui nous parle d’une trajectoire de vie humaine au cœur d’une grande Histoire. C’est le récit d’une famille juive face à la montée de l’antisémitisme en Europe, le récit d’une mère et grand-mère courageuse et l’histoire d’un monde disparu. On aimerait parfois plus de détails sur la toile de fond historique, mais ce n’était pas le propos du livre et ce ne sera donc pas le propos de la BD. Le dessin de Fred Bernard apporte de la luminosité mais peut ne pas plaire en fonction des goûts de chacun tant il est marqué de son esthétique. 

« J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils. - Robert Badinter.

Richard Malka et Fred Bernard s’emparent de ce récit poignant et intime pour en livrer une interprétation lumineuse tout en pudeur et à l’émotion intacte. »

(Illustration de couverture & extrait: © Fred Bernard)

Antisémitisme, Cancer, Meurtre, Mort, Sang