Enfermé.e

Enfermé.e est le dernier roman paru de Jacques Saussey en novembre dernier chez French Pulp éditions dans leur collection Polar. Je l’avais repéré dès l’annonce de sa sortie pour son héroïne transgenre et emprisonnée… un sujet complexe (voir carrément casse-gueule) mais qui peut offrir une formidable lecture. Et voici mon verdict…

« -La Nature s’est trompée.

-Mm… Et comment le sais-tu?

-Je le sens, c’est tout!

-Depuis combien de temps?

-Depuis toujours…

-Tu veux dire que tu es enfermé dans un mauvais corps?

-Non. Mon corps n’est pas mauvais en soi. Je ne suis pas bien dedans, c’est différent.»

Jugé coupable de provocation de coup de coeur

Il y a des livres qui, en quelques pages, nous touche en plein coeur, nous attrape, nous emporte et ne nous lâche plus, même une fois la dernière page tournée. Enfermé.e est de ceux-là. C’est un livre absolument génial sur tous les plans! Lisez-le! … Aaaah, il vous faut plus d’informations pour vous convaincre? Alors c’est parti. Premièrement, l’écriture de Jacques Saussey est sublime. Sa poésie nous frappe, nous bouleverse, nous passionne. Son propos est certes sombre, violent (ça fait mal en dedans, croyez-moi) mais ce roman est aussi tellement BEAU. Il y a de la lumière dans les mots et du génie dans les images. Certains passages m’ont juste laissé sans voix. Ensuite, la construction narrative est ingénieuse. L’auteur alterne les temporalités, nous permettant de connaître l’enfance de Virginie, son enfermement, et son retour dans la société après libération. Cela nous permet de comprendre pleinement la logique de chaque acte du récit, mais surtout de saisir la psychologie précise et fouillée de notre héroïne. Les chapitres courts et le rythme soutenu de cette alternance nous empêchent de reposer le livre en renforçant une addiction déjà bien présente par l’écriture et par l’attachement à Virginie.

« La musique a résonné tard dans la salle vide où un vieillard tournait seul, comme chaque année, les doigts posés sur des hanches invisibles redevenues poussière depuis des décennies, perpétuant l’amour disparu dont il ne se rappelait plus le nom.»

Virginie est une héroïne crédible, irrémédiablement attachante. Elle m’a énormément touché, tourmentée qu’elle est par cet enfermement perpétuel et par les autres qui ne la comprennent pas, depuis le Père jusqu’à la société toute entière. L’auteur a eu l’intelligence de nier toutes les identités des personnages en les remplaçant soit par leur fonction (La Mère, Le Directeur…) soit par les pseudonymes qu’ils se sont donné, tout comme Virginie, afin de marquer la négation de l’identité des personnes trangenres dans la société. L’effet est très marquant! On ressent également vivement que l’auteur a vraiment étudié le sujet de la transidentité, et l’a surtout respecté dans un récit qui ne part jamais dans le stéréotype ou le jugement, mais qui offre une fenêtre de compréhension sur un thème malheureusement peu abordé, notamment en littérature. J’ai aimé et j’aime Virginie de tout mon coeur et je sais qu’elle va me marquer longtemps par sa douceur et sa force, et pour toute cette peine qu’elle n’a pas demandé à supporté. Enfin, le roman prend une tournure vraiment inattendue pour moi sur les cent dernières pages. Mon cerveau s’est complètement retourné et j’ai trouvé ce revirement absolument génial, achevant d’assurer le coup de coeur que j’ai ressenti dès le début du roman. 

En bref,  Enfermé.e est bien plus qu’un roman noir. Il nous touche en plein coeur, nous passionne par une intrigue géniale, nous transporte, nous envoûte par sa poésie… Bref, c’est un grand livre!

« Se retrouver enfermée en prison pour de longues années, alors que l’on est déjà enfermée dans un corps qui n’est pas le sien… une double peine. Est-ce possible de reprendre une vie normale, une fois la dette à la société payée, alors que les autres ne vous jugent pas normale ? L’histoire de Virginie, l’histoire d’une vie, l’histoire d’une vengeance…»

> Lire un extrait < (© French Pulp éditions)

(Couverture: © French Pulp éditions)