Carne

Cet été, si vos aviez envie d’une lecture pleine de mordant, vous pouviez vous tourner sur Carne, le nouveau roman de Julia Richard édité par les éditions de L’Homme Sans Nom. Joliment emballé, et terriblement alléchant dès sa couverture, il a évidemment très vite atterri dans ma pile à lire! Et maintenant que j’ai enfin eu l’occasion d’y goûter, voici ce que j’en ai pensé…

« Je sens que je souris plus largement qu’un imbécile heureux le jour de son mariage - à la différence près que mon maire se sera assez salement fait bouffer lors de sa dernière élocution publique, donc pour l’union civile on repassera.»

Attention, ça décape!

Pour ceux qui commencent à cerner mes goûts, vous le savez, je suis très friande d’humour noir et de cynisme. Si je vous dis que Carne est un roman qui mijote dans une sauce savoureuse de blagues douteuses, de punchlines piquantes et de passages punk un peu trash, vous vous doutez que la dégustation a été jubilatoire! Attention, évidemment, ce qui est pour moi sa plus grande qualité peut être aussi, pour d’autres, son plus grand défaut. Il faut apprécier vous marrer parce qu’un type bouffe son chien qui s’appelle Wurst #ironie #complètementprévisible #jemelajouejeuneavecdeshashtags. Sans ça, c’est certain, la lecture risque de piquer un peu parce que cet humour est constant. J’ai personnellement passer un moment savoureux, riant de l’irrévérence assumée, appréciant les idées géniales des recettes de cuisine telles que les « Connarbonara », et me délectant, sans vraiment ressentir de honte (psycho alert!), des scènes les plus sordides (surtout avec la musique de Kirby!). Avec ce texte satirique, Julia Richard nous propose une critique au vitriol de notre société moderne, notamment de l’impact des médias modernes sur nos vies. D’internet aux shows tv et web-tv en passant par les appels à « spécialiste » à tour de bras aux infos, Carne est une critique sociétale qui ne manque pas de mordant. J’ai également apprécié les références pop culture à tour de bras qui font partie tant de la critique que de l’aspect jubilatoire de la lecture. Mais là encore, je pense que ça marche d’autant mieux qu’on est de la même génération donc c’est un atout tout à fait subjectif.

« Oui, tout va bien. Tout va bien. Tout va bien. Tout va biiiiiiien. Je vais bien. Je vais TRÈS bien. Je ne suis pas du tout entrain de penser que le pénis du copain de ma fille ferait une excellente chipolata. Naaaaan. Du tout, du tout, du tout.»

Introduction?

La première chose qui frappe à la lecture, outre le style, c’est l’ordre narratif. Tout commence avec un chapitre -1, mais non pas suivi du chapitre 0 ou 1 mais du -5. Toute l’organisation du roman est chamboulée, en reflet de la psychologie explosée du personnage principal qui tente de se souvenir, oublie, reconstruit et se perd lui-même dans le temps. Cette idée est géniale mais elle rend aussi le début un peu ardu à suivre et nous demande de raccrocher comme on peut les wagons. Mais parce que Simon ne va pas très bien et que tout ne tourne plus très rond chez lui, il ne pouvait en être autrement. Le roman déconstruit d’ailleurs très bien l’image du « zombie » classique, en nous mettant dans la tête d’un monsieur tout le monde qui se révèle soudain amateur de viande humaine tout en voulant rester bon mari, père de famille et employé. Par bien des aspects, il m’a évoqué l’excellent Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour (chez Mirobole) en interrogant intelligemment la figure du « monstre » et en nous rendant acceptable voir sympathique ce qui n’est généralement pas très moral. J’ai tout de même un petit regret dans le manque de tenant et d’aboutissant à cette «épidémie de zombie ». Point d’explication en effet sur la situation. Le roman contient aussi pas mal de coquilles, et bien que ça ne me gêne absolument pas, je sais que certain.e.s d’entre vous vont tiquer là dessus. Il n’empêche qu’en ce moment, lire un un livre aussi décomplexé m’a fait un bien fou et que c’est avant tout ce que je vais en retenir. J’en profite aussi pour saluer l’autrice dont la disponibilité et la gentillesse immédiate et absolue en font une des plus belles personnes que ce fichu monde a à offrir!

En bref, Carne est un roman qui se dévore avec délice! Terriblement drôle, un peu trash, Carne est irrévérencieux et sa lecture jubilatoire. C’est non seulement une critique sociétale pleine de piquant mais aussi une belle revisite de l’image du zombie, décrassée, modernisée. Et non, cette critique n’est pas sponsorisée par les nouveaux biscuits Pépito crousti-chocs… mais si vous en avez, faites passez, parce que Carne donne faim même à la végétarienne que je suis!

« Simon ne va pas bien. D’ailleurs, depuis qu’il s’est mis à vouloir manger de l’humain, les choses ne tournent pas bien rond dans sa tête.  Face à une société qui les traite, lui et ses congénères, comme des zombies, il fait de son mieux pour garder sa dignité, s’occuper de sa famille et être professionnel au bureau. Mais comment rester soi-même quand la faim frappe à la porte avec autant de délicatesse qu'un tank sur un champ de mines ?

Contraint à gérer son état parasite en maintenant l’illusion de la routine, il décide d’en faire une histoire de famille. Et vous savez ce qu'on dit sur les histoires de famille ?  

C'est toujours un sacré bordel.»

(Couverture: © François-Xavier Pavion)

> Lire un extrait < (© L’Homme Sans Nom)

[Diversité: ps bisexuel.le]