La Trilogie de la Poussière. Tome 2, La communauté des esprits

Après avoir été bercée par la superbe trilogie À la croisée des mondes de Philip Pullman, puis après avoir adoré la lecture du premier tome de la nouvelle série se déroulant dans le même univers, La Trilogie de la Poussière, il m’était impossible de ne pas me jeter sur le tome 2, La communauté des esprits, paru en français le mois dernier chez Gallimard jeunesse. Cette fois, exit le préquel que constituait La Belle sauvage, ce tome 2 se déroule sept ans après les évènements du dernier tome d’ À la croisée des mondes. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Les jeunes gens ne croient pas à la communauté des esprits, ajouta Brabandt. Pour eux, tout se résume à des équations chimiques et à des données mesurables. Ils ont une explication pour chaque chose, et ils se trompent.»

Un sentiment entre déception et colère

Je rédige toujours mes avis lectures à chaud, au plus près de mon ressenti viscéral et primaire à l’issue de ma lecture. Et pour une fois, cela me gêne énormément car j’ai terminé ce livre sur une note de rage que je parviens difficilement à contenir. Avant de vous expliquer pourquoi, dans une seconde partie, parlons de tout ce que j’ai pu noté sur ce livre avant d’atteindre un passage se déroulant à la fin. Ce second tome m’a d’abord désarçonné. Retrouver Lyra à 20 ans avait quelque chose d’assez enthousiasmant, pouvoir voir l’évolution de cette jeune demoiselle au caractère bien trempé me donnait très envie. Mais comme elle le dit elle-même « les choses changent » et je ne m’étais pas préparée à voir une Lyra si différente de celle que je connaissais. Elle m’a paru si froide et si triste que j’avais le sentiment de découvrir une nouvelle personne. Le début de l’histoire est d’ailleurs passablement déprimant. Lente, la première moitié du livre nous entraîne dans un cycle répétitif de rancoeurs et d’amertume qui attriste et déstabilise. On a, heureusement, le plaisir aussi de retrouver certains personnages de la première saga et l’intrigue qui se met en place doucement se révèle plutôt riche. Entre jeux de pouvoir, menaces, sociétés secrètes et réflexions sur la dictature et le scepticisme, ce second tome ne manque pas de chemins de pensées intéressants comme le fait toujours l’auteur. Le rythme s’améliore également à la moitié du livre (300 pages à lire avant tout de même!) et certaines révélations ont ravivé mon intérêt en augmentant de concert la tension inhérente à l’histoire. J’avais cependant le sentiment que Philip Pullman était un peu en-deçà de son niveau habituel. L’intrigue souffre de moments longuets, de répétitions, et contient plusieurs twists pratiques ainsi que des réactions de personnages étranges qui empêchent l’immersion totale. Mais le livre contient aussi quelques éléments plus gênants comme le traitement assez moyen (voire légèrement raciste même) des populations arabes ou un amour qui paraît très douteux (voire carrément creepy). Mon avis global, à quelques pages de la fin, était donc, non pas négatif, mais plutôt mitigé. Et puis il y a eu un autre problème, et là je suis passée d’une petite à une immense déception, accompagnée d’un sentiment de rage viscéral.

« Autrefois, la justice régnait dans ce pays. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, docteur Hammond. Peut-être étiez-vous ailleurs. Mais de mon temps, il fallait un motif pour arrêter quelqu’un et… comment avez-vous dit? Une « farouche hostilité » ne suffisait pas.»

 

La scène de trop

[NB: Je prends toujours soin de ne rien révéler de l’intrigue dans mes avis lectures. Une fois n’est pas coutume, cet avis contient, dans cette seconde partie, des spoilers sur un évènement se déroulant dans le livre. Cet évènement ne révèle rien de l’histoire globale et mérite, à mon sens, un avertissement. Il m’était impossible d’écrire un avis sur ce livre sans parler de ce passage. Si vous ne souhaitez rien savoir, considérez donc mon avis terminé ici. Mais si vous voulez être averti et surtout si vous êtes amenés à conseiller ce livre en tant que libraire/bibliothécaire/parent, je vous invite à lire la suite.]

Alors que tout semblait « habituel », une scène de viol intervient. Une scène très violente, détaillée, d’un viol collectif. Rappelons que nous sommes ici dans de la littérature pour les pré-ados. La maison d’édition Gallimard suggère ce titre pour les 12 ans et plus. Mais outre le choc de tomber sur cette scène particulièrement marquante dans ce livre, c’est le traitement qui en est fait ensuite qui m’a sidéré. Car après cette scène, qui est d’ailleurs qualifiée à tort de « tentative de viol » alors que le viol est plus qu’avéré, on assiste à un rappel à l’ordre de la protagoniste féminine, victime, qui n’a pas à voyager seule si elle ne veut pas subir de « désagréments » (là encore, je cite…) de ce genre. Et cette assertion ne sera jamais remise en question dans la suite du livre. Jamais. Et c’est là que quelque chose ne va pas. Car une jeune lectrice en pleine construction d’elle-même va se prendre une gifle monumentale qu’on appelle culture du viol en lisant ce passage. Et pour moi, c’est absolument intolérable. Il serait bon de la part de la maison d’édition de mettre en garde contre cette scène ou de suggérer le livre pour un âge plus avancé. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la tête de cet auteur que j’affectionnais tant pour traiter cette scène aussi misérablement. On peut aborder le viol avec des pré-ados, oui, mais on n’a pas à détailler la scène aussi crûment et encore moins à ne pas remettre en question la culpabilisation de la victime qui est faîte derrière. Non ce n’est pas normal de se faire violer quand on voyage seule, non ce n’est pas normal que des hommes, soldats ou non, profite d’une jeune femme seule sous prétexte que ce sont « des racailles » (je cite toujours), non on n’a pas à conseiller à une jeune femme de porter un niqab pour éviter d’être violée, non, non, et non. Philip Pullman avait démontré mille fois sa capacité d’aborder des sujets forts et durs pour la jeunesse, mais ici, il s’est planté en beauté. Est-ce que je lirai la suite pour savoir l’issue de cette trilogie après ça? Je ne sais pas, honnêtement, je ne sais pas.

En bref, ce tome 2 de La Trilogie de la Poussière me laisse un sentiment bien amer. Bien qu’il contienne des éléments positifs et que l’intrigue, même un peu bancale, arrive à capter le lectorat sur la seconde moitié, il y a pour moi trop d’éléments gênants, un en particulier, pour que je ne sois pas déçue et en colère à l’issue de la lecture.

« Lyra a vingt ans. Déterminée et tourmentée, elle étudie à Sainte-Sophia quand son chemin croise celui d'un éminent professeur nommé Malcolm. Au cœur d'un monde hostile, ils s'engagent malgré eux dans un périlleux voyage: le mystère de la Poussière les mènera bien au-delà d'Oxford et des fontières de l'Europe, jusqu'à un désert hanté d'Asie centrale.»

(Illustration de couverture: © Antoine Ronzon