Girl

Parmi les sorties de la rentrée littéraire, j’avais repéré le dernier roman de l’irlandaise Edna O’Brien, Girl, qui évoque le destin tragique d’une jeune étudiante nigériane enlevée par Boko Haram en 2014. Ce roman au sujet très fort est paru le 5 septembre dernier aux éditions Sabine Wespieser et voici ce que j’en ai pensé…

« Elle ne connaissait pas les mots, elle connaissait la terreur. »

Un sujet essentiel

Il est très courageux d’écrire des romans qui se basent sur des faits réels (certes avec un personnage principal fictif mais exemplaire de ce qui se passe vraiment) et qui sont récents et même encore d’actualité. C’est assez difficile de ne pas trahir les faits, de ne pas choquer mais sans non plus édulcorer, et c’est d’autant plus difficile quand les informations sont complexes à trouver car trop récentes ou trop sensibles. Edna O’Brien a réussi ici. L’enlèvement des jeunes étudiantes nigériane par Boko Haram avait fait grand bruit grâce au mouvement « Bring back our girls » et même si aujourd’hui on n’en entend presque plus parler, certaines sont encore manquantes à l’appel et l’après « libération/fuite » des autres est passé sous silence. Edna O’Brien, fidèle à ses convictions, met en lumière le destin de ces filles, leurs sévices abominables (et assez insoutenables à lire), mais aussi et surtout la liberté bien amère qui les attend quand elles ont la chance d’avoir survécu. Le sujet est essentiel et bien abordé, illustrant à travers une histoire précise, une panoplie de destins brisés. C’est un roman qui permet de ne pas oublier et, espérons-le, de réveiller les consciences pour aider ces victimes, même après leur libération. C’est douloureux à lire parfois, parce que c’est une réalité bien difficile à accepter et que les faits sont sordides, et le courage de l’autrice, qui s’est plongé corps et âme dans les recherches de témoignage sur le terrain, se doit d’être souligné

« Fatim se souvenait que dans sa première école il y avait une poupée que les filles tisonnaient et qu’une fille a dirigé des ciseaux vers le gousset de tissu et a dit que Dolly devait subir son opération. Nous avons eu notre opération. Ils ont eu la primeur. Il faisait noir maintenant, les étoiles festoyaient dans les cieux. »

Beaucoup de zones floues 

Je n’ai cependant pas été très enthousiasmée par ma lecture à cause du style de la narration. Beaucoup d’éléments du récit m’ont en effet échappé à cause d’un certain flou quand à la temporalité. Sans aucune notion de temps ou de durée, et usant d’ellipses jamais précisées, le récit m’a perdu à de nombreuses reprises. Je pense que l’autrice souhaitait illustrer le flou dans lequel évolue Maryam mais il devient parfois impossible de visualiser les évènements sur une ligne du temps. D’autant qu’à cela s’ajoutent des flash-backs et des situations imaginées par le personnage principal. La frontière réel/fantasmé est d’ailleurs floue elle aussi par instants, perturbant encore un peu plus nos repères. Je manquais aussi de quelques notions sur le contexte, sur les moeurs et coutumes au Nigéria par exemple, pour mieux comprendre ce que pouvait vivre Maryam et ce qui était « normal/acceptable » ou non dans cette culture. J’étais donc parfois trop perdue/perplexe pour me plonger pleinement dans ce roman fort et me prendre ainsi un uppercut que le sujet avait largement de quoi provoquer. Cela n’empêche par Girl d’être un bon roman qui rencontre aussi d’excellentes critiques de ceux pour qui le style ne gêne pas et renforce au contraire la force du roman. Je crois cependant que c’est une narration à laquelle on ne peut pas tous adhérer et je regrette d’être de ceux qui ressortent de cette lecture un peu déçus.

En bref, Girl est un roman au sujet essentiel qui mérite de mettre en lumière non seulement l’horreur des camps djihadistes mais aussi et surtout l’impossible retour à la normal et la stigmatisation. La narration un peu perturbante peut cependant freiner la compréhension et l’immersion et ainsi atténuer la puissance du récit.

« Le nouveau roman d’Edna O’Brien laisse pantois. S’inspirant de l’histoire des lycéennes enlevées par Boko Haram en 2014, l’auteure irlandaise se glisse dans la peau d’une adolescente nigériane. Depuis l’irruption d’hommes en armes dans l’enceinte de l’école, on vit avec elle, comme en apnée, le rapt, la traversée de la jungle en camion, l’arrivée dans le camp, les mauvais traitements, et son mariage forcé à un djihadiste – avec pour corollaires le désarroi, la faim, la solitude et la terreur.
Le plus difficile commence pourtant quand la protagoniste de ce monologue halluciné parvient à s’évader, avec l’enfant qu’elle a eue en captivité. Celle qui, à sa toute petite fille, fera un soir dans la forêt un aveu déchirant – « Je ne suis pas assez grande pour être ta mère » – finira bien, après des jours de marche, par retrouver les siens. Et comprendre que rien ne sera jamais plus comme avant : dans leur regard, elle est devenue une « femme du bush », coupable d’avoir souillé le sang de la communauté.»

> Lire un extrait < (© Sabine Wespieser éditeur)