Les mauvaises herbes

Publié pour la première fois en 2017, Les mauvaises herbes a été traduit en français pour une publication chez Delcourt dans la collection Encrages en septembre 2018. Ce roman graphique de la coréenne Keum Suk Gendry-Kim raconte le témoignage d’une “femme de réconfort”/esclave sexuelle de l’armée japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale. Et voici ce que j’en ai pensé…

"Je n'aurais jamais dû accepter. Je ne savais pas, alors, qu'il s'agissait d'un aller sans retour, que plus rien ne serait comme avant..."

Un sujet poignant abordé avec un respect infini

Depuis ma lecture du roman bouleversant Les filles de la mer de Mary Lynn Bracht (Laffont), le crime qui a été perpétré sur les « femmes de réconfort » (entendez évidemment sous ce terme, esclaves sexuelles), qu’elles soient coréennes ou non, est un sujet qui me touche beaucoup. Aussi, quand j’ai eu vent de ce témoignage graphique, histoire vraie d’une de ces femmes recueillies par une jeune autrice et dessinatrice coréenne, je savais que ce serait une lecture forte et je ne me suis pas trompée. L’histoire d’Oksun est tragique, difficile et illustre, à sa hauteur, l’ampleur des horreurs dont l’homme est capable. A travers son témoignage, et l’histoire de femmes qu’elle a pu côtoyer, on comprend alors comment elles sont devenues esclave sexuelle et comment leur vie, et celle de leur famille, ont été impactées par cet épisode douloureux qui reste encore mal reconnu dans leur propre pays. Les faits sont violents, mais Keum Suk Gendry-Kim illustre l’indicible avec une grande pudeur et un immense respect, préférant par exemple le noir complet que le dessin d’un viol, ou en suggérant, par des silhouettes et des traits, les souffrances vécues. Les mots font mal, mais les images respectent ces femmes et c’est un choix que je ne peux que saluer. Dans ce récit, il y a aussi de la lumière par les échanges entre l’autrice et Oksun ou encore par l’humour de cette femme qui, malgré l’horreur de sa vie conserve une espièglerie épatante. C’est un récit bouleversant, mais jamais larmoyant, qui touche et interpelle sans jamais devenir voyeuriste.

De la petite histoire à la grande Histoire

En relatant l’histoire d’Oksun, c’est tout un pan de l’Histoire de la Corée qui nous est aussi présenté. On y découvre l’occupation japonaise, bien avant la Seconde Guerre Mondiale, la hiérarchisation de la société et son côté patriarcal fort. Mais c’est aussi, par extension, toute l’Histoire de cette partie de l’Asie au XXème siècle qui est contée. L’autrice aborde en effet Nankin et Hiroshima et Nagasaki, événements liés eux aussi à l’histoire de ces femmes victimes. Riche sur le plan historique, ce roman graphique est une œuvre forte et importante qui n’oublie pas non plus de conserver une échelle humaine essentielle. Ainsi, par l’évocation de toute la vie d’Oksun, y compris son enfance et l’après, l’attachement du lecteur est inévitable et l’ampleur du crime mise en avant. On est attendri par cette femme d’un courage incroyable, on est émus par elle, par ses souffrances et l’injustice dont elle a été, comme tant d’autres, victime. Visuellement aussi, par des traits épurés, noirs sur fond blanc, le roman graphique ne s’embarrasse pas de superflu et relate son histoire avec force et justesse sans que des éléments décoratifs nous éloignent de l’essentiel. Certains passages, plein d’élégance, ont des allures d’estampes, fixant une ambiance, un lieu et une saison en quelques coups de pinceau. C’est très beau et très poétique et ça amplifie grandement l’émotion du témoignage.

En bref, Les mauvaises herbes est un témoignage fort, émouvant, marquant et très bien relaté. Tout en respect, avec pudeur et élégance, cette histoire difficile trouve ici un écrin parfait qui ne peut que toucher son lecteur en plein cœur. A lire.

“1943, en pleine guerre du Pacifique, la Corée se trouve sous occupation japonaise. Sun, 16 ans, est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle à l’armée japonaise basée en Chine. Après avoir vécu 60 ans loin de son pays, Sun revient sur sa terre natale. L’histoire d’une « femme de réconfort » qui en dit long sur l’histoire avec un grand H.”

(Illustration de couverture et planches : © Keum Suk Gendry-Kim)