Né d’aucune femme

De nombreuses fois primé (Grand Prix des Lectrices Elles, Prix des Librairies, Prix Babelio, etc.) et caractérisé comme chef d’oeuvre par de nombreux critiques, Né d’aucune femme de Franck Bouysse paru chez La Manufacture de livres en janvier 2019 connaît un succès indéniable. Pourtant, éloigné de mes lectures habituelles, il n’aura retenu mon attention que lorsque des personnes de confiance l’auront encensé à leur tour, à savoir Uranie et Stelphique. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Je savais qu’on pouvait pas avoir deux familles dans une seule vie, que les rêves sont rien plus que des rêves, et que ceux qu’on nous vend sans qu’on les rêve soi-même, il faut les fuir à tout prix. »

« Les histoires sont des maisons au mur de papier et le loup rôde »

Dans celle de Rose, le loup est bien là, il souffle sur sa jeune vie pour tout y dévaster. Tout s’y effondre, dans la douleur et dans la peine. Il souffle sur la flamme de son espoir avec acharnement, mais parviendra-t-il à l’éteindre également? Car Rose est un sacré bout de femme, d’un courage impressionnant et d’une force de caractère épatante. Vous aurez envie, comme moi, de la soutenir, vous l’aimerez immédiatement sans nul doute, et vous serez alors dans l’incapacité de vous détourner de son destin si tourmenté. De manière quasi-obsédante, vous suivrez le récit du conteur qu’est Franck Bouysse et qui, de sa plume magistrale vous attrapera dès les premières pages pour ne plus vous relâcher avant que Rose n’ait achevé son histoire. Une histoire fascinante n’étant efficace que lorsque les mots qui la construisent sont suffisamment justes et évocateurs. D’une plume tantôt poétique, tantôt intimiste et bouleversante de réalisme, cette histoire est parfaitement contée au point que l’abandonner en cours de route ressemble à une trahison. Car même dans les moments les plus sombres, Franck Bouysse amène la lumière, celle que seuls les mots savent faire naître dans le coeur des hommes. 

« Les retours ne sont jamais sereins, toujours nourris des causes du départ. Que l’on s’en aille ou que l’on revienne, de gré ou bien de force, on est lourd des deux. »

« Taire les mots. Laisser venir. »

Laisser venir les émotions, celles dévastatrices que le récit de Rose transmet sans que la surprise ne soit pour autant nécessaire. On imagine aisément, en effet, les embranchements qui seront pris par le récit mais cela n’empêche en rien de ne pas pouvoir s’en détacher. Puisque tout y est marquant et passionnant même si c’est par instants prévisible. Laisser venir l’éblouissement provoqué par une psychologie fine et travaillée des personnages qui donne au récit de Rose une aura de réalisme inoubliable. Laisser venir également l’attachement, non seulement pour l’héroïne mais pour tous ceux qui constituent sa famille, quelles que soient leurs faiblesses. Comment ne pas s’attendrir du remords de l’un, du désespoir d’elle ou du tourment de cet autre incapable d’agir? Laisser venir enfin le petit coup de coeur, malgré les quelques failles, parce que refermer cette histoire semble être un adieu déchirant.

En bref, Né d’aucune femme n’a pas démérité son succès. Je ne veux que vous conseiller cette histoire dramatique aussi sombre qu’éclatante de beauté. 

« " Mon père, on va bientôt vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile.

- Et alors, qu’y-a-t-il d’extraordinaire à cela ? demandai-je.

- Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés.

- De quoi parlez-vous ?

- Les cahiers… Ceux de Rose."

Ainsi sortent de l’ombre les cahiers de Rose, ceux dans lesquels elle a raconté son histoire, cherchant à briser le secret dont on voulait couvrir son destin. »

(Couverture: photographie © Sara Saudkova / conception graphique © R.Tricot)

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