Jamais

Je vous parle rarement de bande dessinée ici, mais parfois le coup de cœur est tel que je ne peux m’en empêcher. Jamais est une BD parue cette année aux éditions Bamboo, collection Grand Angle. Ecrite et dessinée par Bruno Duhamel, il s’agit d’une histoire racontée en un tome unique, et voici mon avis…

Une histoire terriblement touchante

Si je ne devais vous en dire qu’un mot, je dirai BEAU. Jamais, c’est l’histoire de Madeleine, petite mamie qui vit encore chez elle, avec son chat obèse Balthazar et les souvenirs de son mari décédé. Mais alors que sa maison à flanc de falaise risque de s’effondrer, les autorités tentent par tous les moyens de la faire quitter son domicile. Avec une grande justesse et de subtilité, cette bande-dessinée évoque l’attachement à son domicile, la volonté de rester avec ses repères, ses souvenirs, mais sans jamais aller dans le travers du pathos. Parce que Madeleine n’est pas le genre de personne à se lamenter sur son sort, c’est même plutôt une force de la nature. Avec son caractère bien trempé, son comportement un peu fou parfois et son côté très têtu, elle donne à cette histoire la force et la vitalité qui auraient pu y faire défaut. Malgré le sujet un peu grave, je retiendrai aussi l’humour qui filtre dans les pages, que ce soit à travers les comportements du chat, si réalistes, ou à travers le côté revanchard de cette super mamie. J’ai été énormément touchée par cette histoire, peut-être parce que Madeleine m’évoque, entre autres, ma grand-mère, avec son caractère forgé par les vents et les expériences de la vie, mais aussi parce qu’elle est dite et illustrée avec beaucoup de finesse et de force. L’histoire est belle, subtile, et sa fin un peu ouverte (mais aussi un peu inéluctable) nous laisse un sentiment de vague à l’âme, mais toujours avec une petite touche de sourire.

Une grande intensité émotionnelle

Côté dessin, Bruno Duhamel a un style très détaillé qui, personnellement, me plaît beaucoup. Chaque page recèle d’éléments qui rendent les décors tout à fait réalistes, et le petit making-off en fin d’ouvrage nous montre d’ailleurs son soucis de retranscrire des paysages existants. J’ai grandement apprécié cette immersion dans le village de bord de mer qu’est Troumesnil, l’ambiance qu’il a cherché à transmettre, notamment via les sonorités des environnements si importantes pour Madeleine, aveugle de naissance. On s’y croit. J’aime aussi beaucoup les traits des personnages, leurs expressions lisibles en un coup d’œil, notamment chez le personnage de Madeleine. Car si l’histoire est bien écrite, c’est aussi à travers le dessin qu’elle se raconte. Duhamel a même réalisé des pages entières sans texte, où tout est dit par l’image. Ces passages ont une force évocatrice impressionnante et ce sont eux qui m’ont mis les larmes aux yeux. Parce que Madeleine est ce genre de personne à ne pas dire ce qui la tourmente, l’auteur est parvenu à nous transmettre son ressenti en quelques coups de crayons. C’est terriblement touchant, c’est puissant et l’ensemble texte/dessin est juste magnifique.

En bref, il faut lire Jamais de Duhamel, parce que c’est une BD qui ne peut que vous toucher, quel que soit votre âge ou votre histoire. C’est juste, fort, très beau, et terriblement émouvant. Du grand art !

« Troumesnil, Côte d’Albâtre, Normandie. La falaise, grignotée par la mer et le vent, recule inexorablement de plus d’un mètre chaque année, emportant avec elle les habitations côtières. Le maire du village parvient pourtant, tant bien que mal, à en protéger les habitants les plus menacés. Tous sauf une, qui résiste encore et toujours à l’autorité municipale. Madeleine, 95 ans, refuse de voir le danger. Et pour cause. Madeleine est aveugle de naissance. »