Chlorine

Le 15 mai, les éditions Argyll ont publié le premier roman de Jade Song intitulé Chlorine et traduit par Marie Koullen. Présenté comme un roman de body horror sur l’adolescence, c’est un titre qui avait retenu mon attention dès son annonce et que je me suis empressée de me procurer. Il est également accompagné d’une préface de Floriane Soulas qui donne très très envie de se jeter sur le roman. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Comment peut-on grandir sans douleur ?»

Dans ce roman, l’autrice nous plonge dans la jeunesse de Ren, jeune femme plutôt talentueuse à la natation qui, en conséquence, voit toute sa vie organisée autour de ce sport, avec tous les sacrifices que cela engendre. Récit d’adolescence évoquant les bouleversements tant corporels qu’émotionnels et hormonaux de cette période, Chlorine parle de changement, de métamorphose, avec une écriture très organique. C’est en effet un roman empreint de fluides, celui chloré de la piscine se mêlant dans le récit à ceux du corps d’une jeune femme, sans prendre les pincettes habituelles, sans mettre à distance ce qui définit aussi un humain. Sueur, larmes, eau, chlore et sang, mêlé par une plume qui nous ramène sans cesse au corps. Mais c’est aussi le récit d’un contrôle permanent sur ce corps humain. Contrôle notamment par la discipline sportive, qu’elle s’impose mais surtout qu’on lui impose. Mais aussi contrôle par les autres, par tous ces hommes qui l’entourent principalement et qui, chacun, à leur manière, imposent leur marque. Chlorine est un récit qui parle de l’emprise masculine sur la vie d’une adolescente, par les présents ou les absents de son existence, avec tout ce qu’il y a de dérangeant là-dedans. Mais on y parle aussi d’amour, de rêves et d’une émancipation. Ren a un rêve de liberté totale pour lequel elle est prête à tout. Magnifiquement écrit, très puissant par sa justesse sur les émotions et les métamorphoses de l’adolescence, Chlorine touche irrévocablement. 

« En tant qu’humaine, j’étais faible. Je me suis laissé briser.

Aujourd’hui en tant que sirène, je suis forte. Indestructible.

Vous ne pouvez rien me faire.»

Chlorine est un roman qui, dès le prologue, installe une ambiance pesante, malaisante, et, déjà, douloureuse. On comprend, par la parole de Ren, ce qui va se passer, on saisit entre les lignes l’horreur de ce qu’on va voir. Tout le talent de Jade Song, c’est de réussir, malgré qu’on soit prévenu, à maintenir tout au long du roman une tension grandissante qui parviendra à un climax terrible lors d’une scène difficilement oubliable. Il y a de la douleur dans ce roman. De la souffrance psychique, parfaitement retranscrite. Du doute, du manque, de l’envie, de la haine, mais aussi et surtout de la peur de décevoir. Le roman ne ménage en rien vos propres histoires, il bouleverse en tapant juste à plusieurs reprises. Il va vous déranger, vous gêner, vous étouffer. Il y a également beaucoup de souffrance physique dans le récit. Je ne vais vous le cacher, j’ai eu mal en lisant ce roman. C’est si organique, si violent que ça vous secoue jusqu’aux nerfs. Et pourtant, et c’est là la force de cette histoire, c’est dans l’horreur, dans le monstrueux, que se cache une certaine beauté tragique. Le récit d’une libération aux sacrifices terribles, le récit d’une métamorphose hors des cases dans lesquelles on a cherché à la faire entrer, à la façonner, le récit d’une rage inévitable et d’une joie sauvage remarquable issue des larmes et du sang. Jade Song dérange en parlant d’un corps de jeune fille, des fluides et des envies plus animales d’une adolescente qu’on cache chastement dans la littérature et dans la société, de la même manière qu’elle décrit une scène de body horror. Elle utilise l’image du monstre pour parler d’émancipation féminine. Et c’est remarquable. Alors oui, vous allez vous sentir très mal durant cette lecture qui ne vous quittera plus avant longtemps. Soyez-y préparés. Mais c’est un roman tellement réussi qu’il serait dommage de passer à côté.

Extrait:

« Les humains sont la ruine des mythes. Qu’ils terrassent ls maisons, brisent les cœurs ou trahissent la confiance, l’état d’un mythe empire toujours après leur introduction.»

En bref, Chlorine est un roman profondément dérangeant. Il fait mal, il secoue, il étouffe et il marque durablement par la puissance de sa plume, les douleurs qu’il véhicule et la rage qu’il contient. C’est un récit d’adolescence très organique, un récit de métamorphoses et d’émancipation qui parle avec justesse du contrôle des corps féminins. Il est difficile de trouver les mots pour décrire cette expérience de lecture. C’est un premier roman remarquable de qualité qui ne peut pas laisser indifférent. 

« Ren Yu est une nageuse. Ses journées commencent et se terminent à la piscine. Ses coéquipières sont ses seules amies, son coach son seul guide. Si elle nage assez bien, elle sera repérée, obtiendra une bourse et intégrera une bonne université. Ses parents l’aimeront. Son entraîneur sera gentil avec elle. Elle aura une belle vie.
Ren n’existe que pour la nage. Elle aime l’odeur du chlore, la sensation de l’eau sur sa peau et elle fera tout son possible pour être libre. Peu importe la douleur. Peu importe les sacrifices ou ce qu’en pensent les autres.
Depuis toujours, Ren a grandi avec des histoires de créatures des profondeurs, celles qui appellent les marins à leur perte et se régalent de leur chair. Alors, peu importe la quantité de sang à verser, Ren exaucera son rêve le plus fou : devenir une sirène. »

(Illustration de couverture : © Anouck Faure)

[Diversité: pp lesbienne, pp asiatique - chinois.e, ps lesbienne, ps agenre, ps asiatique - chinois.e]

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[Lecture n°15 (19/60 points avec les bonus pour l'échelon 4 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 13 de Ma lecturothèque]