Les buveurs de lumière

Prix Transfuge du meilleur roman anglophone 2017, Les Buveurs de lumière de Jenni Fagan est un des titres de la rentrée littéraire des éditions Métailié. Un titre énigmatique et poétique, une ambiance d’ère glaciaire, des êtres paumés qui se rencontrent,… il ne m’en fallait pas plus pour m’attirer. Et, voici ce que j’en ai pensé.

[NB: Je remercie les éditions Métailié pour leur confiance et notamment Camille Poupé pour sa gentillesse.]

Une pause poétique

Dès son titre (non mais, Les Buveurs de lumière, n’est-ce pas magnifique?), ce roman vous promet une parenthèse de beauté, une pause poétique. Et cette promesse est tenue tout au long du roman, malgré ses personnages un peu paumés et malgré une réalité un peu dure et brutale. La plume de Jenni Fagan n’est comparable à aucune autre. Très spécifique, elle m’a désarçonnée et perturbée au départ puis m’a complètement emporté. Quelle beauté! C’est un roman majestueux, où se rencontrent une cireuse de lune, une étoile qui brillera tant elle s’abreuve de lumière, un homme né d’un nephilim et un autre qui cherche à épouser le ciel. C’est de la poésie moderne, brute et magistrale, lumineuse et puissante. Les buveurs de lumière est avant tout un roman contemplatif, ne vous attendez donc pas à une pluie d’actions. Si j’ai ressenti quelques vagues longueurs, habituée à plus d’intensité au niveau du rythme, j’ai été apaisée de me laisser porter par les descriptions de cette nature en plein chaos, de ces paysages rares et purs. Il faut accepter de se laisser embarquer pour apprécier le récit de Jenni Fagan a sa juste valeur et lorsque je l’ai fait, ça a été fabuleux.

« Elle se concentre, tentant d’absorber l’énergie des soleils au plus profond de ses cellules et ainsi, lorsqu’ils s’enfonceront dans l’hiver le plus sombre depuis deux cents ans, aux minutes les plus calmes, quand le monde entier connaîtra une absence totale de lumière - elle se mettra à briller, briller, briller. »

Une sorte de fin du monde apaisée

L’histoire de ce roman nous présente un début d’ère glaciaire, comme une possible fin du monde, prévisible et très proche de nous. Et si, en général, les romans d’anticipation aux tendances apocalyptiques font dans le déballage de chaos, ici le chaos reste éloigné, tant l’endroit où se déroule l’histoire est isolé, coupé du reste du monde dans un écrin de nature. Tout en devient apaisé, paisible, comme une fin du monde douce qui apporte plutôt le répit et le soulagement que la destruction. C’était fabuleux! L'autrice arrive à aborder un tas de sujets d'actualité, avec justesse et intelligence, tout en conservant l'isolement que procure le lieu. Mais Les buveurs de lumière c’est aussi une histoire de rencontres. Celles de personnages paumés, un peu éreintés par la vie, un peu blessés, mais tellement passionnants. Une rencontre entre eux mais surtout avec eux-mêmes. J’ai eu un immense coup de coeur pour Stella dont l’histoire et la personnalité m’ont captivé et qui me marquera longtemps. Et puis c’est une histoire d’espoir, de deuil, d’amour et de courage. Sans aller dans un déballage d’actions et de rebondissements, juste en parlant de la vie et de ce qu’elle a à offrir, l’autrice nous envoûte. Si mon coup de coeur n’a pas été total c’est à cause de quelques moments perturbants où j’avais de grandes difficultés à me situer dans le temps et qui m’ont un peu sorti de la rêverie que la plume provoquait. Mais le livre était malgré tout merveilleux!

« Elles lui avaient demandé si elle était toujours chrétienne. Elle avait expliqué que sa famille n’était pas croyante. Elles lui avaient demandé ce qu’elle savait de la damnation. Elle leur avait demandé ce qu’elles savaient de l’autonomie. »

En bref, il m’est difficile de vous parler de ce roman clairement. Les buveurs de lumière c’est de la poésie, des paysages chaotiques fabuleux, des personnages amochés passionnants, une plume unique, une fin du monde en douceur… C’est un petit livre très particulier pour lequel je n’ai qu’un conseil: lisez-le et laissez-vous porter. 

« Le monde entre dans l’âge de glace, il neige à Jérusalem et les icebergs dérivent le long des côtes. Pour les jours sombres qui s’annoncent, il faut faire provision de lumière – neige au soleil, stalactites éclatantes, aurores boréales.

Dylan, géant barbu et tatoué, débarque au beau milieu de la nuit dans la petite communauté de Clachan Fells, au nord de l’Écosse. Il a vécu toute sa vie dans un cinéma d’art et essai à Soho, il recommence tout à zéro. Dans ce petit parc de caravanes, il rencontre Constance, une bricoleuse de génie au manteau de loup dont il tombe amoureux, et sa fille Stella, ex-petit garçon, en pleine tempête hormonale, qui devient son amie. Autour d’eux gravitent quelques marginaux, un taxidermiste réac, un couple de satanistes, une star du porno.

Les températures plongent, les journaux télévisés annoncent des catastrophes terribles, mais dans les caravanes au pied des montagnes, on résiste : on construit des poêles, on boit du gin artisanal, on démêle une histoire de famille, on tente de s’aimer dans une lumière de miracle.

Dans ce roman éblouissant au lyrisme radical, peuplé de personnages étranges et beaux, Jenni Fagan distille une tendresse absolue qui donne envie de hâter la fin du monde. »

(Photographie de couverture : © Remo Savisaar)