Des Fleurs pour Algernon (édition augmentée)

Nouvelle parue en 1959 dans la revue The Magazine F&SF et devenue depuis un classique, tout comme son adaptation en roman en 1966 (gagnant du prix Nebula) par le même auteur, Daniel Keyes, Des Fleurs pour Algernon est paru en français en 1972 et est aujourd’hui publié dans une édition augmentée comprenant la nouvelle originale, le roman ainsi que l’essai autobiographique de 2000 intitulé Algernon, Charlie et moi: trajectoire d’un écrivain. C’est cette édition que j’ai eu la chance de parcourir grâce au concours Instagram de @loeil2luciole, et en voici mon avis…

Porteur de réflexions sur le genre humain, tragique et beau, mais avec quelques défauts notables. Je vais ici évoquer principalement le roman et je reviendrai, en fin de critique sur les autres éléments de l’édition augmentée. Des Fleurs pour Algernon est une histoire importante et elle est devenue un classique parce qu’elle pose les jalons de nombreux débats sur la nature humaine: la modification de l’homme pour le rendre plus performant, la tolérance face aux plus démunis, la considération en tant qu’être humain, les distances selon le statut intellectuel, etc. Innovante qui plus est, puisqu’écrite avant les années 60, cette science fiction semble aujourd’hui pratiquement réalisable et elle me semble d’autant plus nécessaire à lire pour pouvoir pressentir les bouleversements de telles expériences. En ce sens je la rapprocherai de deux grands livres également inévitables: 1984 d'Orwell pour l'aspect prophétique et Des Souris et des hommes de Steinbeck pour son analyse du genre humain.

« Je pense que c’est une bonne chose que j’aie découvert comment tout le monde se moque de moi. J’y ai beaucoup pensé. C’est parce que je suis si bête et que je ne sais même pas quand je fais quelque chose de bête. Les gens pensent que c’est amusant quand une personne par intelligente ne peut pas faire des choses comme eux ils peuvent. »

Mais au-delà de cet aspect indéniable de « must-read », il faut également souligner la beauté de ce récit. L’auteur a été très judicieux de choisir le format « journal » pour sa nouvelle comme pour son roman. Il était, je pense, essentiel, que Charlie Gordon parle directement au lecteur, pour qu’aucun regard extérieur ne vienne biaiser notre appréhension de ce dernier. Ainsi, plutôt que de rire de lui, on rit avec lui. Mais on pleure aussi, on s’énerve, on s’impatiente, on s’exalte, … avec Charlie. Cet échange rend le personnage terriblement attachant et touchant et le lecteur ne peut que s’investir émotionnellement dans l’histoire de Charlie Gordon et d’Algernon, quitte à en être chamboulé. Comment ne pas être touché, en effet, par cet homme qui ne cherche qu’un peu d’affection et qui, qu’il soit attardé ou génie, se retrouve sans cesse en décalage avec le reste du monde?!

« Maintenant, je comprends que l’une des grandes raisons d’aller au collège et de s’instruire, c’est d’apprendre que les choses auxquelles on a cru toute sa vie ne sont pas vraie, et que rien n’est ce qu’il paraît être. »

Mais comme je le disais au début de cette chronique, le récit souffre de quelques défauts, dû à la transition de format nouvelle/roman. Certes, certains allongements sont bénéfiques, notamment les réflexions sur son passé et son avenir (quoique des questions restent en suspens et cela est quelque peu frustrant) ou encore la colère de Charlie d’être considéré comme cobaye et non comme humain, ou enfin l’aspect dissociation entre deux personnalités. Malheureusement, d’autres m’ont parus plus maladroits comme la scène plus « mystique » dans le bureau du psychanalyste (bien écrite mais en complet décalage) ou encore le personnage de Fay, assez inutile. J’ai ressenti la peine qu’à pu avoir l’auteur à allonger le récit par instants et cela m’a été confirmé par l’essai autobiographique présent dans l’édition.

« Si l’opérassion réussi bien je montrerai a cete souris d’Algernon que je peu ètre osi un télijen quelle et même plus. Et je pourrai mieux lire et ne pas faire de fotes en écrivan et apprendre des tas de chose et être comme les otre élèves des écoles. »

Pour ce qui est de cette édition justement, il est vraiment intéressant d’avoir la nouvelle et le roman si l’on souhaite analyser les différences de récit. Je pense aussi qu’il est nécessaire, dans ce cas, de lire l’essai autobiographique qui nous permet de comprendre les choix de changements et également la genèse d’une histoire telle que celle-ci. D’autant que ce petit essai est plutôt agréable à lire! Je regrette cependant que le traducteur de la nouvelle et du roman ne soient pas les mêmes, ce qui empêche une comparaison tout à fait juste entre les deux récits. Pour ceux que ça intéresse, sachez que cette histoire a fait l’objet de multiples adaptations (films télévisés, films pour le cinéma, pièces de théâtre, comédie musicale, …).

En bref, Des Fleurs pour Algernon n’est pas parfait mais c’est un récit touchant et évoquant des sujets nécessaires faisant naître le débat et nous portant à réfléchir et à nous rendre plus tolérants vis-à-vis de ces personnes qui ne sont pas assez considérées comme des êtres humains.

« Des fleurs pour Algernon Édition augmentée Algernon est une souris dont le traitement du Pr Nemur et du Dr Strauss vient de décupler l'intelligence. Enhardis par cette réussite, les savants tentent, avec l'assistance de la psychologue Alice Kinnian, d'appliquer leur découverte à Charlie Gordon, un simple d'esprit. C'est bientôt l'extraordinaire éveil de l'intelligence pour le jeune homme. Il découvre un monde dont il avait toujours été exclu, et l'amour qui naît entre Alice et lui achève de le métamorphoser. Mais un jour, les facultés supérieures d'Algernon commencent à décliner... Cette édition augmentée contient, en plus du roman, la nouvelle originale « Des fleurs pour Algernon », ainsi que : l'essai autobiographique Algernon, Charlie et moi. »