Berlin on/off

Il y a un an, je découvrais le premier roman de Julien Syrac, La Halle (aux éditions de la Différence) et je me prenais une énorme claque par la qualité de sa plume qui aura provoqué un beau et franc coup de coeur inattendu. Son second roman, Berlin on/off paraîtra la 5 avril prochain chez Quidam éditeur dans la collection « Made in Europe » et j’ai déjà eu la chance de le lire en avant-première. Alors, l’effet est-il toujours le même? Voici mon avis…

[NB: Un immense merci à la maison d’édition pour m’avoir proposé un livre qu’il m’était impossible de refuser tant il me faisait envie! Merci pour la confiance.]

« Les aéroports en général sont des lieux exaspérants et infiniment apaisants. Mélange de la stupidité la plus en pointe, du consumérisme le plus débile, des peurs sécuritaires les plus oppressives et des émotions les plus universelles, larmes d’adieu et rires de retrouvailles, angoisse de l’attente des départs et des retours, dans un décor de carton-pâte, particulièrement neutre et sordide à l’aéroport de Berlin Schönefeld.»

La claque, le retour

C’est définitif: je suis en amour, que dis-je, en adoration, face à la plume de Julien Syrac! C’est bien simple, l’auteur peut aller à l’opposé de tout ce que je classe dans les « qualités d’un bon livre » et réussir à m’embarquer complètement malgré tout. Il a le don de conter des histoires, de parler de morceaux de vie ordinaires avec une sincérité, une authenticité qui en font des événements passionnants. Avec Berlin on/off, le pari est osé. Il s’agit d’un recueil de trois monologues sur trois situations ayant comme point commun un narrateur français qui fait des p’tits boulots dans le domaine de l’art en Allemagne. Avec sa maîtrise géniale des mots et son ton un brin cynique mais toujours juste, Julien Syrac nous dresse le portraits d’individus, croisés par le protagoniste, qui ont tous pour point commun d’être dans une situation d’échec dans le monde artistique. De l’agent littéraire qui cherche à faire événement mais n’est pas fait pour ça, au professeur de dessin qui n’utilise jamais un seul crayon, jusqu’au sculpteur coincé dans l’art d’une autre époque, Julien Syrac nous présente ce panel avec une sensibilité et une sincérité qui touche et qui les rend captivants. Et chaque monologue m’a littéralement embarqué dans le flot ininterrompu de son écriture, me transportant parfaitement dans le moment et dans l’instant avec une puissance évocatrice qui tire de la sincérité de ses portraits. Leur réalisme est si frappant que, comme pour le premier roman, on se demande où est la frontière entre le vécu de l’auteur et le fictionnel tant chaque situation, aussi loufoques soient-elles parfois, paraissaient vraies. Julien Syrac a conservé son ton cynique et direct mais également sensible et authentique qui m’avait tant bouleversé et qui, une fois encore, m’a mis une claque. A la fois proche de littératures classiques à la Zola, baroque et véritable, mais avec une modernité et une légère impertinence savoureuse, la plume de l’auteur est définitivement de grande qualité. 

« Oui, modèle de nu n’est jamais que l’une des interminables ramifications du grand tunnel de la misère, juste avant l’embranchement vers le bordel et le trottoir, live ou online. Jamais qu’une des cent mille têtes grimaçantes de l’Hydre des petits salaires, qu’une façon comme une autre de faire l’acrobate sur le gibet des fins de mois, avec néanmoins l’honnêteté d’être effectivement à poil.»

Trois moments de vie pour dresser une fresque berlinoise

Comme je le disais, Berlin on/off est le recueil de trois monologues, certes liés entre eux par le narrateur et les sujets, mais isolés les uns des autres comme trois moments de vie distincts. Le premier monologue nous place à l’aéroport, à l’attente d’une poétesse que le narrateur doit accompagner pour un festival naissant de poésie. Parlant certes d’art et de littérature, il va bien au-delà et décrit, dans la méditation de cette attente, le comportement humain, ses habitudes et son vécu de poète en attente d’éditeur. Je l’ai trouvé terriblement juste et peut-être plus cynique que les deux autres. Le second nous présente un narrateur modèle de nu, croyant ici gagné beaucoup d’argent mais voyant une fois de plus ses espoirs déçus. Et là encore, dans les temps de poses et dans les bruits d’un cours de dessin, du grattement des crayons aux comportements plus démonstratifs, il médite sur sa situation, sur sa colocation, sur sa nudité et sur le corps et, toujours, sur les gens croisés. Enfin, le dernier monologue s’éloigne en campagne Allemande et nous conte un récit moins statique auprès d’un sculpteur sur métal dépassé, passant plus son temps à boire et à répondre à des projets « utiles » qu’à faire évoluer son art. Il finalise ainsi la fresque sur l’art, sur l’humain et sur cette société Allemande que l’ensemble de ces trois monologues forme et il conclue les pensées d’un narrateur effrayé par son « destin d’éponge ». Alors oui, j’aurai aimé un lien plus fort, plus « lisible » entre ces trois instants pour en faire une histoire plus « classique » mais je ne peux pas dire qu’ils n’ont aucun lien ou que cette construction m’ait déplu. Il s’agit en fait, pour le lecteur, de les assembler comme les pièces d’une sculpture, pour y trouver le tout, un tout qui reflète une puissance évocatrice forte et souligne à la fois la misère et une certaine mélancolie, mais aussi, tapis derrière, l’espoir et une sensibilité bienveillante. 

« Regard de haine profonde, jaillissant hors des yeux comme des couteaux de l’étui à chaque intrusion sur leurs terres, comme si par principe et rien qu’à le voir, ils en voulaient à mort à l’étranger, moins pour ce qu’il est que parce qu’il les surprend dans la réalité de leur misère.»

En bref, Berlin on/off était, tout comme La Halle, un livre que je n’aurai jamais lu a-priori, un livre « pas fait pour moi », mais ils sont écrits par Julien Syrac, et l’écriture de cet auteur est si magistrale qu’elle bouleverse toutes mes certitudes. Puissant, authentique, immersif, ce roman en trois monologues est un petit bijou et son auteur est un grand conteur qui fait du quotidien une oeuvre passionnante. 

« Autoportrait du jeune homme en artiste raté, Berlin on/off décline en trois monologues revanchards et baroques une immersion dans des univers canoniques de l’art, à travers l’œil d’un narrateur dont on sait simplement qu’il est un jeune Français au « destin d’éponge ». Son opportunisme naïf l’a entraîné dans le sac de nœuds d’un milieu artistique, dégradé par la sociologie de ses acteurs et la mesquinerie de leurs ambitions.»

(Graphisme de couverture : © Hugues Vollant)

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